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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/84

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mon oncle pierre vassiliévitch.

Elle était restée seule, une nuit, à la maison, mon frère Pierre et les enfants avaient été envoyés je ne sais où. Le soir, Mélanie, sa servante favorite, la déshabilla, la mit au lit comme d’habitude, puis tout à coup frappa dans ses mains. À ce signal, d’autres servantes, qui attendaient dans la chambre voisine, le cocher Fédor, et le jardinier, parurent. Notre sœur, Nadejda Andréevna, s’aperçut à leur air que la chose allait mal tourner ; elle n’eut pas peur cependant, et ne perdit pas sa présence d’esprit.

« Que pensez-vous faire ici, démons ? avez-vous perdu l’esprit ? hors d’ici à l’instant. »

Ils furent sur le point d’obéir, effrayés par habitude ; mais Mélanie, la plus hardie, les retint.

« Lâches poltrons, ne craignez-vous donc pas pour votre peau ? mais elle vous enverra demain en Sibérie ! »

Cela les fit réfléchir : ils se ruèrent en masse vers le lit, prirent notre défunte sœur, qui par les pieds, qui par les bras, jetèrent des matelas de plumes sur elle pour l’étouffer. Elle avait beau supplier, offrir de l’argent, promettre tout ce qu’on voudrait, rien ne les arrêta. Mélanie, la favorite, les dirigeait tous.

« Une serviette mouillée sur la tête, pour qu’il ne reste pas de taches bleues sur la figure… »

Ils l’ont avoué ensuite eux-mêmes, pendant le procès, sous le fouet, les lâches esclaves : ils ont alors raconté, en détail, ce qui s’était passé. Et, bien sûr, cette belle affaire ne leur a pas valu des caresses.