Aller au contenu

Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/99

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
82
sophie kovalewsky.

grimace. Elle en devenait rouge jusqu’au cou ; ses petits bras nus, eux-mêmes, en étaient cramoisis.

Je la regardai,… la regardai,… et soudain…, je ne sais comment cela se fit, mais il se passa une chose terrible ! Poussée par je ne sais quelle force inconsciente, inattendue, sans même me rendre compte de ce que je faisais, j’enfonçai mes dents, un peu au-dessus du coude, dans ce petit bras dodu, et le mordis jusqu’au sang.

L’attaque fut si soudaine, si imprévue, qu’au premier moment nous restâmes tous trois stupéfaits à nous regarder. Mais tout à coup Olga poussa un cri perçant, et ce cri nous ramena tous trois à la réalité.

Un sentiment de honte amère, désespérée, s’empara de moi. Je me sauvai à toutes jambes.

« Mauvaise, vilaine fille », cria mon oncle d’une voix irritée.

Mon refuge dans toutes les circonstances graves de ma vie était l’ancienne chambre de Marie Vassiliévna, devenue la chambre de Niania. C’est encore là que je cherchai mon salut. Cachant ma tête dans les genoux de la bonne vieille, je sanglotai longtemps sans m’arrêter ; et Niania, me voyant dans cet état, ne me fit pas de questions, et se contenta de me caresser les cheveux en me comblant de tendres paroles : « Que Dieu soit avec toi, ma chérie ! Calme-toi, mon enfant », disait-elle. Ce fut un extrême soulagement, dans cette violente émotion, de pleurer à mon aise sur ses genoux.

Par bonheur, ce soir-là, mon institutrice était