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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/98

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mon oncle théodore schubert.

Je l’accompagnai sans mot dire. Cet entretien à trois, destiné surtout à Olga, puisqu’il faudrait se mettre à la portée de ses goûts et de son intelligence, était loin de me plaire. Je me sentis dépouillée de mon bien, de mon droit le plus cher et le plus sacré.

» Eh bien, Sonia, grimpe sur mes genoux », dit mon oncle, qui ne semblait pas remarquer ma mauvaise humeur.

J’étais si blessée, que cette offre ne m’adoucit pas.

« Je ne veux pas », répondis-je avec colère.

Et je m’éloignai, boudeuse, dans un coin.

Mon oncle me regarda d’un œil étonné, mais rieur. Comprit-il le sentiment de jalousie qui me troublait l’âme, et voulut-il me taquiner ? Je l’ignore, mais il se tourna tout à coup vers Olga et lui dit :

« Eh bien, si Sonia n’en veut pas, prends sa place sur mes genoux. »

Olga ne se le fit pas dire deux fois, et avant que j’eusse eu le temps de comprendre ce qui se passait, je la vis à ma place sur les genoux de l’oncle. Je ne m’attendais à rien de semblable. Il ne m’était pas venu à l’esprit qu’une chose aussi affreuse pût arriver. Je sentis littéralement la terre crouler sous mes pieds.

Trop saisie pour protester, je restai là, silencieuse, ouvrant de grands yeux, et regardant mon heureuse compagne ; et elle un peu confuse, mais cependant très satisfaite, s’installait sans façon sur les genoux de l’oncle, et s’efforçait de donner à son visage d’enfant joufflue une expression sérieuse et attentive, en plissant sa petite bouche avec la plus drôle