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Page:Spaak - Kaatje, préf. Verhaeren, 1908.djvu/164

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Et je promènerai chez eux, de ville en ville,
Mon cœur désabusé de son rêve inutile !
Allons ! ne parlons plus de cela !…

Après un silence, il remonte vers le fond et regarde par la fenêtre

Allons ! ne parlons plus de cela !… Quel soleil
Éblouissant !

Il rêve un instant.

Éblouissant ! C’était par un printemps pareil,
Que je m’en suis allé gaîment vers l’Italie !
Ah ! comme la gaîté meurt en mélancolie !
Quel silence ironique après l’appel des Muses !

Pendant qu’il prononçait ces dernières phrases, Kaatje, le cœur lourd, s’est assise près de la fenêtre ; machinalement elle a posé sur ses genoux son coussin de dentellière et s’est remise à la besogne. Jean s’approche d’elle distraitement, puis la regarde travailler. Au bout d’un instant il lui dit :

C’est un joli dessin… Très joli… Ça t’amuse ?

KAATJE (péniblement, avec un sourire triste)

Oui ; c’est mon art à moi ; mon pauvre petit art…
Je l’aime d’exiger seulement mon regard
Pour conduire le jeu de mes mains cadencées,
Et de laisser tout son caprice à ma pensée…

JEAN

C’est difficile ?

KAATJE (tout doucement et de plus en plus émue)

C’est difficile ? Non ; puis ce que j’aime encore,
C’est de voir, peu à peu, point par point, mes décors