Aller au contenu

Page:Spenlé - Novalis.djvu/104

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
96
NOVALIS

voit certains malades », observe Moreau (de Tours), « au retour de chaque nouvel accès éprouver un état de bien-être, de contentement intérieur inexprimable. Cet état qui se reflète dans toute leur personne, ils ne peuvent trouver d’expression propre à en donner une idée, à faire comprendre l’exaltation de leur âme, les délices intérieures dont ils sont inondés. »[1] Un autre trait bien apparent, selon le même auteur, « l’un des plus remarquables, et qui mérite d’autant plus de fixer l’attention qu’il est très rare dans les autres genres de folie, c’est le dépouillement de la personnalité, laquelle s’absorbe presque toujours dans les individualités que les malades ont le plus admirées, le plus enviées autrefois. qu’ils se sont proposées pour modèle, ou tout simplement dont leur imagination a été le plus frappée. »[2] Par l’extase, — ainsi les mystiques interprètent eux-mêmes ce phénomène subjectif, — l’homme rendu indépendant du corps matériel et franchissant les limites où l’emprisonne son individualité physique, peut entier en un rapport spirituel avec d’autres esprits, voire même avec des morts aimés. Ce sont les mystères de ce « commerce spirituel » que décrit le premier Hymne à la Nuit de Novalis. « Tu descends vers moi, ma bien-aimée », ainsi chante le poète ; « voici venir la Nuit, mon âme est en extase ; je suis arrivé au terme du pèlerinage terrestre et tu es redevenue mienne. Mes yeux plongent dans tes yeux profonds, ténébreux ; je ne vois plus qu’amour et joie. Nous nous écroulons sur l’autel de la Nuit, sur la couche de volupté ; l’enveloppe tombe et parmi les doux embrassements de la flamme, de l’holocauste qui se consume s’élèvent les saintes et pures ardeurs. »

Cependant le poète n’a pas réussi à rendre permanent cet état d’exaltation morale. Rares et fugitives sont « les célestes envolées de la Nuit ». Ces ivresses passagères sont suivies d’une profonde lassitude, où l’esprit est comme en-

  1. Moreau (de Tour), La Psychologie morbide, p. 235.
  2. Ibid., — p. 234.