Aller au contenu

Page:Spenlé - Novalis.djvu/124

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
116
NOVALIS

philosophie revêt ainsi un aspect essentiellement « éthique ». Pour le poète romantique au contraire l’essentiel dans l’homme c’est l’activité imaginative. Le suicide philosophique aboutit donc simplement à une attitude esthétique en face, ou plus exactement « en dehors » de la vie, et c’est cette attitude que les esthéticiens romantiques, comme Frédéric Schlegel et Solger, ont voulu définir sous le nom d’Ironie. Peut-être chez Novalis en trouverons-nous la réalisation la plus parfaite, parce qu’ici elle n’apparaît pas dans une formule. dans une attitude, dans une doctrine particulières, mais se trouve répandue sur l’ensemble de sa vie et de sa pensée, comme la substance cachée de son génie.

L’Ironie romantique, issue, comme le pessimisme, de l’idéalisme philosophique, est donc l’intuition d’une contradiction initiale de l’Être, le sentiment de l’universelle illusion. La vie, le monde, c’est-à-dire le réel, le fini ne sont qu’illusion et néant, si nous les prenons « au sérieux », si nous croyons y voir l’Être lui-même. « Quiconque est encore emprisonné dans l’inextricabe chaos des réalités particulières », écrit l’esthéticien Solger, « quiconque, avec la gravité de l’esclave, attache son esprit à l’objet borné de son activité et de son désir, celui-là ne produira jamais rien de vivant ni de fécond. Dans toute aspiration plus noble il y a je ne sais quoi de plus indépendant, une pensée plus altière, par où l’homme s’élève pour contempler de haut, avec un calme sourire, le but prochain de son effort. Ce sentiment d’universalité, cette origine plus haute ennoblit toute activité particulière, — par là seulement nous devenons aptes à représenter les Idées elles-mêmes dans la réalité et dans nos propres actes. Je dirai même que nous ne sommes dignes de tendre à un but précis que si nous sommes capables sans cesse d’en détacher notre pensée, pour nous réfugier dans une sphère plus élevée. »[1] Mais ce n’est là encore qu’un des aspects de

  1. Solger, Philosophische Gespræche, p. 55-56.