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Page:Spenlé - Novalis.djvu/123

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UN SUICIDE PHILOSOPHIQUE

vêtent pour un pareil esprit toutes les satisfactions de l’instinct, de là aussi le caractère illusoire de l’intérêt qu’il prend aux choses, aux événements, à la réalité. « Celui qui considère la vie autrement que comme une illusion qui se détruit, est encore lui-même emprisonné dans cette illusion… Précisément cette auto-suppression de l’instinct, de l’illusion, du problème illusoire, qui se consument dans leurs propres flammes, c’est là l’élément de volupté, qui est au fond de toute satisfaction de l’instinct. Qu’est-ce autre chose que la vie ? Le désespoir même, la crainte de la mort, sont les plus attrayantes parmi ces illusions. »[1]

Telle est aussi la conclusion d’un petit dialogue philosophique sur la brièveté de la vie. « À quel but tendent tous nos efforts ? À transformer en plaisir le déplaisir, et à convertir du même coup le temps en éternité, par un détachement et par une exaltation de tout notre être spirituel, en prenant toujours davantage conscience de l’illusion comme telle. Oui, mon ami, nous voici arrivés jusqu’aux colonnes d’Hercule et nous pouvons nous embrasser avec la certitude joyeuse qu’il est en notre pouvoir de considérer la vie comme une illusion belle et géniale, comme un spectacle grandiose… Puisse donc cette intuition de la vie, comprise comme une illusion passagère, comme un spectacle dramatique, devenir pour nous une seconde nature. Avec quelle rapidité s’écouleront alors les heures sombres et quel attrait nous trouverons à la brièveté même de ce qui passe. »[2]

Ainsi nous voyons se préciser peu à peu chez Novalis le type de l’ironiste romantique. C’est l’homme qui sait se déprendre de la vie, se placer « en dehors », pour en jouir comme d’une illusion intéressante et géniale, en prenant toujours plus conscience de « l’illusion comme telle ». Chez Schopenhauer la conscience de l’illusion aboutit à une discipline ascétique du caractère, parce qu’il fait de la volonté et d’une conversion morale de la volonté le pivot de sa doctrine. Sa

  1. N. S. II, I, p. 110 et p. 109.
  2. N. S. I, p. 257.