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Page:Spenlé - Novalis.djvu/129

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L’INTUITIONNISME

peu près le même langage. « En tant que je suis libre (et je le suis), tandis que je m’élève au-dessus de l’enchaînement des choses et que je me demande, comment cet enchaînement lui-même a été possible je ne suis en aucune façon une chose, un objet. Je vis dans un monde qui m’appartient tout à fait en propre, je suis un être qui n’existe pas pour d’autres êtres, mais qui existe pour lui-même. En moi il ne peut y avoir qu’activité, de moi ne peuvent émaner que des efficiences, il ne peut y avoir en moi aucune passivité, car qui dit passivité, dit action et réaction, et ce rapport ne se rencontre que dans l’enchaînement des choses, au-dessus duquel je me suis précisément élevé moi-même. »[1]

Ainsi l’exaltation du moi servait de point de départ au nouvel intuitionnisme philosophique, qui reçut de ses auteurs l’appellation imposante d’idéalisme transcendantal. Cette attitude s’accompagnait généralement d’un profond mépris des vérités de sens commun, accessibles à tout le monde. Les jeunes adeptes romantiques, — tels que Schelling et Frédéric Schlegel — forçant la pensée de leur maître Fichte, affectaient en philosophie un ton de supériorité tranchante, qui leur paraissait tout à fait génial. Ils inaugurèrent ainsi une nouvelle manière, — la philosophie « ex tripode », oraculaire et mystique. « Cependant cette question (de la possibilité du monde extérieur) », écrivait Schelling, « s’est répandue parmi des gens profondément incapables de se la poser à eux-mêmes. En passant par leur bouche elle a pris un tout autre sens, ou plutôt elle a perdu toute signification. Eux, ils sont des êtres qui ne savent de rien au monde que des lois de cause à effet, dont ils subissent la pression et la poussée. Moi, quand je pose cette question, je me suis élevé au-dessus de ces lois. Eux sont emprisonnés dans le mécanisme de leurs pensées et de leurs représentations : moi j’ai brisé ce mécanisme. Comment me comprendraient-ils ? »[2]

  1. Schelling’s sæmtliche Werke, Stuttgart et Augsburg. 1857, Band II, p. 17.
  2. Ibid. p. 18.