Aller au contenu

Page:Spenlé - Novalis.djvu/131

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
123
L’INTUITIONNISME

usé tout comme Brown, mais d’une façon plus générale encore, plus absolue. »[1] Prenons donc exemple sur les mathématiciens : ils pratiquent la vraie méthode. Les propositions qu’ils énoncent sont vraies, en dehors de toute preuve expérimentale et de toute application pratique. La certitude théorique et toute idéale qu’ils élaborent s’impose dans l’ordre des faits, dans le monde des réalités externes, impérieusement, intégralement. Les mathématiques sont la preuve irréfragable de la docilité de la nature aux décrets de notre esprit, elles apportent la réalisation magique, la vérification tangible de l’intuitionnisme philosophique. « La vraie mathématique est l’élément propre du mage… Le mathématicien sait tout. Il pourrait tout, alors même qu’il ne saurait pas tout… Quiconque n’ouvre pas avec recueillement un livre de mathématiques et ne le lit pas comme il lirait la parole de Dieu, ne le comprend pas… La vie des dieux est mathématique. »[2]

Cette exaltation paradoxale et mystique des mathématiques, — où s’exprimait d’une manière indirecte un grand mépris des sciences d’observation, — servait surtout de préambule et de pièce justificative à une apologie encore plus dithyrambique de l’imagination poétique. Ici de nouveau Fichte semblait avoir frayé la voie par sa théorie de l’imagination productrice. Quelle est la faculté merveilleuse par laquelle le démiurge « produit » à la fois son propre corps et la réalité extérieure, c’est-à-dire tout le spectacle de sa vie consciente ? L’imagination, répondait Fichte, la poésie, interpréteront les romantiques. L’imagination n’est pas, comme certains le prétendent, un simple pouvoir de « reproduction », une remémoration plus ou moins fidèle des empreintes fournies par les sens. Elle est essentiellement et primitivement une faculté active et créatrice, une production spontanée d’images. Car c’est là une conséquence inéluctable du paradoxe idéaliste : non seulement les objets

  1. N. S. II, 1. p. 306.
  2. Voir N. S. II, 1, p. 222. un long dithyrambe en l’honneur des mathématiques.