Aller au contenu

Page:Spenlé - Novalis.djvu/132

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
124
NOVALIS

extérieurs, mais le corps lui-même et les sens qui les perçoivent sont le produit d’une imagination qui les « rêve » sans cesse et les « présente » à l’esprit. « Rien ne peut entrer dans l’intellect » disait Fichte, « si ce n’est par le moyen de l’imagination… C’est ce pouvoir presque universellement méconnu qui fait la synthèse des oppositions continuelles ; elle intervient parmi les activités antagonistes qui autrement se suspendraient l’une l’autre, et les conserve simultanément. ; — c’est elle qui rend possible la vie et la conscience, comprise comme une série continue… Elle est le pouvoir merveilleux, sans lequel rien ne saurait s’expliquer dans l’esprit humain et sur lequel pourrait bien reposer tout le mécanisme de l’esprit humain. »[1]

« Rien n’existe qui ne soit un produit de l’imagination », avait affirmé Fichte ; « tout ce que produit l’imagination existe par cela même réellement », ainsi les romantiques retournèrent cette première proposition. C’est à effacer toutes les limites entre les objets réputés purement « imaginaires » et les objets réels, en d’autres termes, entre le rêve et la réalité commune, que tendit aussi bien leur art que leur philosophie. On a déjà vu dans la psychologie de Novalis les symptômes d’une pareille confusion. Il crut trouver dans l’idéalisme de Fichte une justification spéculative de ses habitudes intellectuelles et morales. La toute-puissance illimitée et productive de l’imagination est le dogme fondamental de son esthétique et de sa morale. « L’imagination est le sens merveilleux qui peut suppléer les autres sens et qui déjà se trouve pour une si grande part en notre pouvoir. »[2] Dans un de ses fragments les plus paradoxaux il suppose qu’un homme, dépourvu de tout organe sensoriel, pourrait par un effort prolongé d’imagination évoquer du dedans un monde aussi riche, aussi varié, aussi intéressant que celui de la perception normale ; bien plus, s’il était doué d’une

  1. Voir Fichte’s sæmmtliche Werke, — Berlin, 1845. Tome I, p. 326, p 204-205, p. 208 etc.
  2. N. S. I, p. 356.