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Page:Spenlé - Novalis.djvu/138

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NOVALIS

même, qui me semble impossible… C’est le plus dangereux des penseurs : il vous tient fasciné dans un cercle magique. »[1] Qu’était-ce en effet que la nature pour Fichte ? Un « non-moi » inerte, sans vie propre, incapable de progrès, l’ensemble des activités mortes du démiurge, une nécropole. « Celle-ci (la Nature), disait-il, n’est ni vivante comme la raison, ni susceptible d’un progrès indéfini, mais morte, dotée d’une existence inerte, emprisonnée en elle-même. »[2] De là le reproche d’« acosmisme » si souvent adressé à ce spiritualisme intransigeant. Rien n’était plus antipathique à Fichte que le panthéisme. Il invoquait contre lui, (ne pouvant le réfuter théoriquement), comme un postulat irrécusable, l’impératif moral. Sans doute, dans sa propre doctrine, une intuition mystique permettait à l’homme d’affirmer par delà l’opposition entre le moi et le non-moi, par delà le conflit actuel entre l’Esprit et la Nature, l’identité créatrice et primitive du Moi absolu. De cette révélation intime il faisait même le point de départ de tout son intuitionnisme philosophique. Mais ce n’était là qu’un point de départ « idéal ». Toute l’activité « réelle » de l’homme, aussi bien morale qu’intellectuelle, se trouvait au contraire dominée par ce conflit perpétuel, comprise sous cette opposition toujours conciliée et sans cesse renaissante entre l’Esprit et la Nature. Là était le véritable contenu de la vie et de la philosophie. L’identité, à peine entrevue, s’évanouissait de nouveau, comme un mirage, qui reculait sans cesse. Bien plus la conscience morale faisait à l’homme un devoir impérieux de s’opposer énergiquement à la Nature et de lui imposer les lois subjectives de sa propre nature spirituelle.

Aussi le spinozisme apparaissait-il à Fichte comme une école d’immoralité et il le voyait renaître avec déplaisir chez la jeune génération, sous le nom de « Philosophie de la Nature. » — « Surtout ne vous laissez pas éblouir », écrivait-il au grand public, « ni leurrer par une philosophie qui s’in-

  1. Raich, op. cit., p. 28.
  2. Fichte, Ueber das Wesen des Gelehrten, Édition Reclam,. p. 78.