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Page:Spenlé - Novalis.djvu/137

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L’INTUITIONNISME

haine de l’orthodoxie régnante. Lorsqu’on se rendit plus nettement compte du but où l’on tendait, les positions se modifièrent. Après la « Doctrine de la Science » l’influence de Fichte sur cette génération littéraire fut insignifiante. À mesure qu’en lui le métaphysicien cédait le pas au prédicateur et au tribun, qu’en une série de brochures populaires il essayait de dégager et de vulgariser les conclusions pratiques de sa doctrine, d’en accentuer le caractère social et politique, les divergences s’accentuèrent. Il y eut d’abord une période d’équivoques. On conserva les schèmes abstraits et la terminologie philosophique de la Doctrine de la Science, en y amalgamant tant bien que mal une mythologie et une théosophie puisées à d’autres sources. Puis on eut l’impression que la courte alliance des années précédentes n’avait reposé que sur un malentendu. L’accord imaginé n’était pas réel » écrivait en 1808 Frédéric Schlegel, dans un article où il rend compte des derniers ouvrages du philosophe, — « cet accord n’existait que dans une intention polémique commune et dans l’usage commun de certaines formules et de certaines méthodes ». Désormais Fichte représentera aux yeux de la « droite » romantique et catholique le type du rationaliste protestant, du tribun révolutionnaire, du « démagogue ». « Il a voulu élever, — écrivait Eichendorff, — le principe du protestantisme dans toute sa rigueur, comme un Moi souverain, au-dessus du monde, sur les cimes sublimes et inhabitables de l’idéalisme. »[1]

Si le malentendu n’apparut que dans la suite, il y avait cependant dès le début des causes secrètes et déjà confusément senties de dissidence. D’abord à cet idéalisme intégral manquait, on l’a vu, une conception positive de la nature. Dès les premières lectures Novalis en éprouve un secret malaise. « Fichte ne peut pas sortir de la Doctrine de la Science, tout au moins il ne le peut pas sans un attentat contre lui-

  1. Eichendorff — Geschichte der poetischen Literatur Deutschlands, 1860, I, p. 10.