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Page:Spenlé - Novalis.djvu/148

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NOVALIS

de déterminer les termes inconnus en fonction des termes connus. Mais comment formuler dès à présent ces termes inconnus ? Le philosophe inventera un système de notations tout-à-fait arbitraire, tiré uniquement des profondeurs de son esprit, qu’il substituera audacieusement à la réalité empirique, de même que l’algébriste désigne des grandeurs inconnues par des lettres arbitrairement choisies. La philosophie est définie ainsi « l’art d’inventer sans donnée aucune, un art d’invention absolue », ou encore l’art « de mettre l’absolu en logarithmes. »…[1] « Le calcul différentiel me semble être la méthode universelle pour réduire ce qui est irrationnel à ce qui est rationnel, pour l’exprimer en fonction du rationnel, pour le mettre en rapport avec lui, pour le mesurer, le logarithmiser au moyen de notions rationnelles. »

À quelles extravagances peut donner naissance, en philosophie, une pareille conception, les premiers cahiers philosophiques de Novalis nous l’apprennent. L’auteur pense que plus il s’élève dans l’abstrait, plus il fait le vide dans des concepts déjà bien creux par eux-mêmes, plus aussi il est près de toucher à la réalité suprême. D’où viennent ces entités qui s’appellent « matière idéale », « esprit pur », « forme idéale » ? Mystère ! Elles surgissent, comme des revenants à la cloche de minuit, ou encore comme des démons et des sorcières se rendant à quelque nuit de Walpurgis philosophique. Voici par exemple un « esprit pur » qui fait obstinément vis-à-vis à la « matière pure ». Est-il donc ce que les philosophes appellent pensée ou conscience ? Nullement. La « pensée » forme un personnage nouveau et distinct. « Les mots abstraits » dit quelque part Novalis, « sont les espèces gazeuses parmi les mots ; ils sont l’élément invisible. »[2] Force nous est donc de conjecturer dans ce mystérieux « esprit pur » une espèce gazeuse, de la famille des invisibles. D’autres fois la contradiction,

  1. Comp. N. S. II, p. 482, pp. 469-470, p. 473, p. 478, p. 185 etc.
  2. N. S. II, 1, p. 328.