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Page:Spenlé - Novalis.djvu/169

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L’INTUITIONNISME

raisonner sur des grandeurs incommensurables ou inconcevables, mettre en branle des forces invisibles, mais il se découvre aussi sans cesse à lui-même. Grâce au langage seulement le philosophe idéaliste peut explorer les régions profondes de la pensée. Ce serait une erreur de croire que les réalités intimes puissent se révéler sans le signe qui les formule, les précise, les fixe et permet de les évoquer sans cesse sous le regard de la conscience. Pour peu que notre vie consciente se manifeste, il faut qu’elle s’accompagne continuellement de parole intérieure et, chez les esprits les plus originaux, d’une incessante création verbale. Ici apparaît avec une extraordinaire netteté le caractère dynamique, évocateur, pour ainsi dire magique du langage. L’invention d’une belle et forte image, d’un néologisme hardi peut avoir dans les parties les plus obscures de notre vie un retentissement instantané plus grand que nous ne croyons. Il y a des « mots-forces », des mots fatidiques et flamboyants que les générations se communiquent et dont les mieux prévenus subissent l’irrésistible fascination. « La notation avec des sons et des traits », dit Novalis, « est une opération merveilleuse. Quatre lettres me représentent Dieu ; quelques traits figurent des myriades d’objets… La linguistique est la dynamique du monde des Esprits. Un commandement met en branle des armées, le mot de Liberté soulève des nations. »

Ce qui distingue donc le langage poétique du langage commun ce sont moins les éléments matériels qui le constituent que leur toute nouvelle valeur expressive ou évocatrice. Le langage habituel, avons-nous vu, est utilitaire et par cela même prosaïque. Le mot sert simplement de moyen d’expression, de véhicule à la pensée ; il n’a pas de vie propre, autonome, spontanée et par suite il est dénué de beauté et de poésie. Il ne révèle rien en lui-même : sa valeur, sa signification est toute d’emprunt. De là le dédain des esprits positifs et des savants pour la « forme », qui chez eux est en effet accessoire. Pour le poète au contraire la valeur expressive, plastique ou musicale du signe est essentielle. On peut