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Page:Spenlé - Novalis.djvu/170

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NOVALIS

dire que pour lui les mots eux-mêmes pensent, peignent ou chantent. Une heureuse alliance d’images, une consonnance imprévue, lèvent des tourbillons de pensées qui, dans un coin obscur, s’étaient posées en files silencieuses, n’attendant qu’un signal pour prendre leur envolée. Il y a, en poésie, une sympathie magique du signe et de la chose signifiée, une harmonie préétablie. Le mot suggère la pensée autant que la pensée appelle le mot : sans cette mutuelle évocation la poésie ne serait que le plus fastidieux coq-à-l’âne, les exigences de la prosodie apparaîtraient comme une inutile et ridicule torture. Les poètes adorent le hasard. Ils lui doivent leurs plus belles trouvailles. Leur méthode consiste essentiellement à explorer les mutuelles affinités entre le langage et la pensée, à expérimenter le hasard. Toute la logique du monde, la plus solide et la plus serrée, ne fera pas que deux vers riment ensemble. « Le poète se sert des choses et des mots comme de touches musicales et toute la poésie se réduit à une association libre d’idées, à une production spontanée, arbitraire, idéale de hasard. »

C’est donc à affiner sans cesse en lui ce sens mystique du langage que doit travailler d’abord le poète. « C’est vraiment une chose bizarre et un peu extravagante que le langage et l’écriture : la conversation n’est qu’un perpétuel jeu de mots. L’erreur la plus étrange et la plus comique c’est que les gens croient vraiment parler pour les choses qu’ils disent. Le secret du langage (c’est-à-dire que chacun ne parle au fond que pour lui-même), tous l’ignorent. Voilà pourquoi le langage est un mystère si profond, si fécond, — et chaque fois que quelqu’un ouvre la bouche simplement pour parler, c’est précisément alors qu’il dit les choses les plus vraies, les plus belles, les plus originales. Mais qu’il se mette à parler d’un objet déterminé, aussitôt la langue lui fourche et le voilà qui débite les sottises les plus extravagantes. Si seulement on pouvait faire comprendre aux gens qu’il en est des mots comme des figures géométriques. Celles-ci forment un monde à part, s’ébattent entre elles en