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Page:Spenlé - Novalis.djvu/173

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L’INTUITIONNISME

des paroles magiques, qui mettent en branle des groupes harmonieux. De même que les vêtements des saints conservent les vertus miraculeuses dont ils ont été imprégnés, pareillement mainte parole a été sanctifiée par quelque souvenir grandiose qui s’y rattache, et elle constitue à elle seule déjà tout un poème. »[1]

Un dernier caractère enfin, et plus particulièrement « romantique » du symbole poétique, c’est qu’il est révélateur d’une réalité intime et occulte. De là son aspect « hiéroglyphique », volontairement, nécessairement « obscur », c’est-à-dire énigmatique et mystérieux. Ce point mérite d’être plus longuement élucidé, car on y voit apparaître moins encore un procédé qu’une mentalité littéraire toute spéciale.

Le Français, par exemple, même en art, est essentielment rationaliste. Les qualités qu’il prise au-dessus de toutes sont la clarté et la précision dans l’expression, la vérité des sentiments, la finesse pénétrante de l’analyse. Il se sent peu de goût pour la littérature mystique, symbolique, pour l’art « obscur ». S’il le goûte c’est par un raffinement, plutôt que par une disposition native. Il n’aime pas que derrière l’expression se cache encore « autre chose », qu’il n’aperçoit pas du premier coup, un au-delà qu’il faut pressentir et qui se dérobe sans cesse. Une pareille recherche lui paraît oiseuse : en étant plus clair, l’auteur pouvait la lui épargner. L’Allemand pense, ou plutôt il sent autrement. À la clarté instantanée il préfère, dans l’œuvre d’art, les associations confuses ou fuyantes qu’elle évoque en lui. Il veut que toute sa vie intérieure soit mise en branle, que son imagination ne soit pas dès l’abord emprisonnée en une formule trop nette, trop arrêtée. Cet effort de recherche, que le Français juge oiseux, où il verrait volontiers une infirmité secrète de l’œuvre, devient pour l’Allemand un aiguillon subtil de jouissance artistique. Il aime une œuvre

  1. N. S. II, 1, p. 79.