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Page:Spenlé - Novalis.djvu/174

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NOVALIS

d’autant plus qu’il a pu lui-même exprimer à son sujet une théorie plus personnelle, qu’il a été amené lui-même à la penser ou à la rêver à nouveau. Une certaine obscurité n’est pas pour lui déplaire et il sait gré au contraire à l’auteur de l’inviter à cette collaboration tacite. « Une idée est d’autant plus riche et plus originale, plus attrayante, qu’en elle viennent se croiser et se toucher des pensées, des mondes, des manières d’être plus variés. Lorsqu’une œuvre suscite différents motifs, des interprétations diverses, un intérêt multiple, qu’elle a diverses faces et peut être comprise et aimée de beaucoup de manières, alors elle est éminemment intéressante, une émanation directe de la personnalité. »[1] C’est aussi à cause de cette richesse confuse, et parce qu’elle ne se précise pas du premier coup, parce qu’elle ne se livre pas entièrement, qu’une perception devient artistiquement féconde. « Je dois peut-être mes meilleures idées » disait encore Novalis, « à cette circonstance, c’est que je ne reçois pas mes impressions coordonnées et complètement déterminées, mais pénétrantes en un certain point seulement, indéterminées, susceptibles d’un développement illimité. »

Et puis n’y a-t-il pas quelque étroitesse d’esprit à présenter les choses par leur face éclairée seulement, à ne pas faire pressentir au moins leur côté ténébreux ou occulte ? L’inconnu, le mystère sont de grands stimulants. Une pensée, une impression sans mystère n’ont plus d’attrait. Les mystères, dira Novalis, sont des « armatures, des condensateurs de nos facultés divinatoires ». Il faut que « celui qui sait produire une connaissance sache aussi produire une ignorance. Quiconque peut rendre une chose concevable doit de même pouvoir la rendre inconcevable. Le Maître doit produire en même temps une science et une nescience ». Ce qui donne tant de charmes à certaines de nos impressions c’est qu’elles sont pleines d’inconnu. De là vient la saveur toute particulière des souvenirs d’enfance qui nous replongent passagè-

  1. N. S. II, 1, p. 152.