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Page:Spenlé - Novalis.djvu/176

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NOVALIS

« intérieur » que la musique, dans laquelle un jour il devait nécessairement venir se perdre. « Le caractère de toute l’époque contemporaine est idéaliste », disait Schelling, « l’esprit dominant c’est la rentrée en soi-même. » Le symbolisme romantique sera donc essentiellement musical, c’est-à-dire révélateur d’intériorité. Dans la poésie, autant que dans la philosophie spéculative, il y a eu en Allemagne, à la fin du 18me siècle, un renversement complet du point de vue normal et commun, un effort paradoxal et génial à tirer l’univers entier du « dedans », d’une intuition poétique personnelle, par une sorte de divination démiurgique. La Nature, la Religion, l’Histoire et l’Art n’apparaissent plus que comme les aspects divers, les expressions multiples de cette même pensée romantique, mystique et informulable. De là une effervescence universelle, une agitation confuse, qui se portait sans cesse sur tous les points à la fois : on aurait dit que ces esprits étaient occupés chaque jour à créer le monde de toutes pièces, qu’ils se trouvaient, selon une expression de Novalis lui-même, dans « le Comité du Salut public universel ». Leur pensée a pris ainsi un caractère cosmologique et même encyclopédique, moins par suite d’un réel besoin d’expansion qu’au contraire à cause du besoin de tout ramener vers « le dedans », de faire converger vers un rond-point intérieur toutes les avenues de la vie et de la pensée, de se trouver soi-même au centre de tout.

On commença par la nature. « Le monde idéal », écrivait Schelling, « aspire puissamment vers la lumière ; mais encore il se trouve refoulé sur lui-même, parce que la Nature s’est dérobée à lui comme un mystère. Et ainsi tout ce qu’il recèle au-dedans de lui ne pourra se révéler au dehors, que lorsqu’aura été dévoilé le mystère de la Nature. Les divinités encore inconnues, qu’enfante le monde des Idées, ne peuvent apparaître au grand jour, tant qu’elles n’ont pas pris possession de l’empire de la Nature. »[1] Conquérir cet em-

  1. Schellings sämmtliche Werke, 1857. — II, pp. 72-73.