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Page:Spenlé - Novalis.djvu/175

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L’INTUITIONNISME

rement dans cet émerveillement d’autrefois ; de là aussi l’attrait féerique des contrées lointaines, des époques anciennes, des voyages et des aventures, de tout ce qui nous sort de la perception exacte mais aussi un peu routinière de la réalité quotidienne. « Tout devient poésie dans l’éloignement : des montagnes lointaines, des hommes lointains, des évènements lointains, etc. Tout devient romantique. De là notre nature primitivement poétique. Poésie de la nuit et du crépuscule ».

Le mystère n’est pas dans le lointain et dans l’inconnu seulement ; il est tout près de nous. Il nous enchante par la douceur inaccoutumée de certains renouvellements. Un long crépuscule, une journée de printemps précoce, une promenade matinale, une rencontre imprévue l’évoquent à toute heure. « Dans tous les changements on dirait que, comme dans un interrègne, une puissance plus auguste et spirituelle cherche à se faire jour. » Un art déjà plus raffiné sera donc de communiquer le même caractère à des impressions connues et familières. C’est ce que Novalis appelle « l’art de dépayser agréablement, de donner à un objet un aspect étranger et pourtant familier et attrayant. » Il faut que dans la réalité la plus proche, la plus humble, se découvre un élément de mystère continuel, une dimension en profondeur ou plus exactement en « intériorité », sentie plutôt qu’aperçue sous les surfaces de la vie. Pour faire « vrai » il faut faire « mystérieux » : c’est un point capital de l’esthétique symboliste. « L’expression mystique est un attrait de plus pour la pensée. Toute vérité est vieille comme le monde. Le charme de la nouveauté réside uniquement dans les variations de l’expression. Plus l’expression fait contraste, plus on est heureux de se retrouver en pays de connaissance. »[1]

Enfin et surtout le mystère est au-dedans de nous. L’art romantique, particulièrement chez Novalis, est, en dépit de ses prétentions historiques, un art d’intériorité, presqu’aussi

  1. N. S. II, 1, pp. 35-36.