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Page:Spenlé - Novalis.djvu/19

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ÉDUCATION

Non seulement il ne voyait aucun danger dans cette exaltation des facultés imaginatives, mais il la jugeait indispensable à la vie religieuse. Ce qui, selon lui, manquait à la piété de son temps, c’était moins une théologie correcte, que la « foi » c’est-à-dire selon les paroles de St Paul « le pouvoir de se représenter vivement comme réelles les choses invisibles  ». Dans les intérieurs où sa forme de piété était accueillie on devait parler du Christ comme s’il était personnellement et corporellement présent, comme s’il occupait une place à la table commune. Pour faciliter la fiction on s’imaginait parfois qu’il était en voyage, parti pour l’Amérique par exemple, mais qu’il allait bientôt revenir. Entre le monde invisible et le visible s’élevait à peine une barrière transparente. Mourir s’appelait dans la communauté « déloger », et on s’interdisait de porter le deuil de ceux qui venaient de « rentrer chez eux ». On les sentait du reste encore toujours là, tout près. Surtout on évoquait l’image du Crucifié. « L’homme intérieur » disait Zinzendorf, « voit, il touche, il tourne et retourne ses mains dans le flanc sacré ». Ce n’étaient du reste point là des manières de parler. « Tout cela est trop vrai » disait-il encore, « trop réel, trop palpable pour l’esprit ; il y a trop de réalité concrète là-dedans. »[1]

Quel effet sur une imagination jeune et ardente devait produire une pareille éducation religieuse, les traces profondes qu’elle devait imprimer dans les cerveaux dociles et malléables, on le devine aisément. Cependant certains détails passent même tout ce qu’on pourrait imaginer. S’il faut en croire Spangenberg, le biographe intime et l’ami du comte, à l’âge d’un an une des filles de ce dernier chantait par cœur des hymnes spirituelles où il s’agissait du « grand et dernier jour ». Cette jeune personne, qui avait si peu de choses à apprendre encore de la vie, mourut à l’âge de deux ans, édifiant jeunes et vieux par ses derniers entretiens. La plupart

  1. Becker. — Zinzendorf im Verhältniss zu Philosophie und Kirchenthum seiner Zeit. — Leipzig. 1886. — p. 13.