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Page:Spenlé - Novalis.djvu/20

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NOVALIS

des enfants du comte mouraient ainsi en bas âge, après une précocité intellectuelle et religieuse effrayante. Conséquents avec leurs croyances, les parents les présentaient joyeusement à Dieu et s’interdisaient de les pleurer.[1] Dans la « Fête de Noël » Schleiermacher a tracé le portrait de l’enfant prodige, du jeune « phénomène » de l’époque : c’est la petite « prophétesse » Sophie, dont la piété précoce et les réponses extraordinaires ne laissent d’inspirer aux profanes de vives alarmes pour l’avenir.

Que sur Novalis cette première éducation ait de même laissé une empreinte ineffaçable, c’est ce qui ressort de sa vie et de son œuvre tout entières. Il faisait de « l’imagination du cœur » sa faculté maîtresse, par où il entendait, comme le comte de Zinzendorf, le pouvoir de se représenter vivement un monde invisible, d’évoquer par l’imagination, sous l’empire d’une émotion exaltée, les réalités spirituelles. Deux traits de psychologie, comme chez la « Belle âme » de Gœthe, apparaissent chez lui dès le premier âge : la préoccupation obsédante de l’invisible et une extraordinaire précocité de la vie affective. Il fait remonter à l’âge de sept ans le premier éveil de l’amour dans son cœur. « Lorsqu’à peine l’enfant, dans le doux pressentiment de ses forces prêtes à éclore, entrait dans son septième printemps, — enfant de joie et de fête, — l’amour effleura son jeune cœur d’une légère caresse. »[2] ; une poésie de la mère, composée pour être dite par le jeune Frédéric à l’occasion d’un anniversaire et remontant à la même époque, semble faire allusion à cette première idylle. — D’autre part les préoccupations de l’invisible et une vie imaginative très puissante avaient abouti chez la « Belle âme » de Gœthe à un commerce régulier et intime avec une foule d’êtres féeriques. Il lui était possible, raconte-t-elle, d’évoquer avec une netteté hallucinatoire un certain petit chérubin pour qui elle s’était prise d’une affection particulière. Novalis de même avec ses jeunes frères

  1. Bovet. — Le comte de Zinzendorf, Paris. 1865. — p. 329 et suiv.
  2. N. S. I, p. 388.