Aller au contenu

Page:Spenlé - Novalis.djvu/196

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
188
NOVALIS

Ce que Plotin apportait au jeune poète c’était d’abord une théorie philosophique de l’extase, — cette théorie que Novalis avait vainement cherchée dans Fichte, — et aussi une conception organique et symboliste de la Nature. Celle-ci, pour le philosophe alexandrin, était douée d’une âme propre, — l’Âme universelle, — assoupie sans doute et sans conscience distincte, sorte de lien organique par où les êtres individuels arrivaient à coïncider, comme les membres d’un même corps. Entre l’Esprit et la Nature, entre le monde des idées et celui des corps, n’apparaissait pas cet abîme infranchissable qu’a creusé la spéculation moderne. L’Âme universelle, sorte d’activité intermédiaire et mixte, capable des degrés les plus variés, mettait entre eux une liaison souple et mobile, ou plutôt le monde des corps apparaissait comme une image imparfaite et obscurcie du monde des Idées, une ombre qu’aux extrêmes confins de la vie et de la matière avait projetée l’univers spirituel et où, attirée et pour ainsi dire fascinée par sa propre ressemblance, enivrée et étourdie par le fol orgueil de vivre à part, chaque pensée venait s’insérer en un organisme séparé. Et ainsi des rapports très vivants et infiniment variés pouvaient s’établir entre les pensées individuelles et l’âme de la Nature. Une sorte de sympathie universelle, réminiscence confuse de la commune origine, permettait à chaque âme particulière par une divination incessante et magique, de retrouver au dedans d’elle-même l’image totale de l’univers. Issue du monde supérieur des Idées éternelles, où se trouvent encore rassemblés dans leur foyer les innombrables rayons, elle portait en elle dès l’origine la ressemblance confuse des choses d’ici-bas. Mais cette image avait besoin d’être éveillée et sans cesse stimulée par la contemplation terrestre. La perception symbolique du monde, que Novalis avait essayé vainement de tirer de la philosophie de Fichte, se trouvait ici exposée avec une richesse poétique et une génialité philosophique extraordinaires. Sans que fût sacrifiée en rien l’essence transcendantale de l’Idée, mais