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Page:Spenlé - Novalis.djvu/200

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NOVALIS

vit dans un corps particulier, individuel, dans un organisme séparé, qui, comme tel, s’oppose au reste de l’univers.[1] Notre corps nous donne déjà une intuition primitive, une sorte de clairvoyance magique du monde sans laquelle nous ne pourrions même pas vivre un seul instant, — car il est lui-même un organe du Corps universel et comme tel, en connexité intime avec tous les autres organes. Mais cette clairvoyance est limitée à une zone étroite, qui est le champ de notre vie individuelle, et tout le reste de l’univers est comme rejeté hors de nous, dans un « non-moi », dans un monde étranger. La perception extérieure ne fait que suppléer au défaut d’organisation universelle, de clairvoyance magique, d’intuition directe, et la science, issue de cette scission, de cette antithèse entre l’esprit connaissant et les choses, et qui la consacre, qui la rend pour ainsi dire définitive, n’est qu’un moyen de connaissance subalterne, imparfait et provisoire. En même temps donc que l’homme prend, par la science, de plus en plus connaissance du monde extérieur, il doit, par une activité opposée, éminemment synthétique et religieuse, travailler à rétablir le lien primitif. Pour cela il lui faut éduquer et développer en lui le sens interne et magique de la nature. Il ne limitera pas à son propre corps, à sa propre individualité, l’intérêt qu’il prend à la vie, la sympathie qu’il éprouve pour l’univers. Il élargira de plus en plus « les zones de son moi » ; il percevra les corps et les êtres lointains comme il perçoit son propre corps et sa propre vie, par une sorte d’intuition directe, organique et divinatoire. Sa perception de l’univers sera donc bien à la fois antithétique et synthétique : — antithétique puisque le monde lui est d’abord’donné du dehors, comme un objet

  1. Comp. N. S. II, 1, p. 311 et p. 351 : « Notre corps est une partie du monde, — il en est un membre, pour mieux dire. Il porte déjà le signe de la spontanéité, de l’analogie avec le tout, il exprime l’idée du microcosme. À ce membre doit correspondre analogiquement le tout. Autant de sens, autant de modes de l’univers ; l’univers est la contre partie analogique de l’être humain, dans son corps, dans son âme et dans son esprit. Ce dernier est la formule abrégée, et l’univers est la formule amplifiée d’une même substance. »