Aller au contenu

Page:Spenlé - Novalis.djvu/226

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
218
NOVALIS

lever un coin du voile qui couvre au non-initié le sens caché de l’apologue sibyllin.

« La longue Nuit venait de commencer ». Il ne s’agit pas comme on pense, de la Nuit dans le sens habituel du mot, puisque au contraire nous assistons à un « réveil » du monde. En termes de palingénésie mystique la Nuit signifie la période où par une désorganisation, qui est aussi le commencement d’une organisation supérieure, les formes nouvelles s’ébauchent dans le chaos. Nous quittons en effet ce que Novalis appelle ailleurs « l’âge primitif et fabuleux, où tout germe sommeillait à part et aspirait dans sa solitude inviolée à épanouir la plénitude ténébreuse de son existence illimitée. » À présent, la « ville » se « réveille ». Ailleurs dans un court fragment la Nature est comparée à « une ville magique pétrifiée ». Tel nous apparaît bien l’empire du roi Arctur. Tout y est rigide, cristallisé, glacial : c’est le pôle nord de la création. Aux fenêtres, dans des vases d’argile, scintillent des fleurs de givre et de neige. Les remparts de la ville sont brillants et translucides. Devant le palais sont plantés des arbres métalliques et des fleurs de cristal, parmi lesquelles un jet d’eau pique sa grêle colonnette de glace. La mer lointaine a un éclat rigide, tandis que des clartés lunaires se jouent parmi les formes engourdies et fantastiques. Ce n’est point une vision capricieuse d’artiste seulement, mais l’expression allégorique de la théorie neptuniste. « Si l’eau, disait Ritter, est la base physique de toute matière terrestre, les gaz ne sont donc que des évaporations et tous les corps solides ne sont qu’une glace diversement colorée. »[1] Le théosophe Jacob Bœhme de même faisait de l’eau douce « le principe primordial de la Nature. » Mais dans cet état primitif, ajoutait-il, elle apparaît encore solidifiée, « en sorte qu’elle ressemble à du jaspe précieux ou, comme je dirais dans ma langue, à une mer vitrée, où brille le soleil et qui est toute limpide et transparente. »[2]

  1. Ritter, Fragmente aus dem Nachlass eines jungen Physikers, op. cit. I, p. 35.
  2. Jak. Bœhme. sæmmtliclie Werke, 1831, T. II, p. 112.