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Page:Spenlé - Novalis.djvu/229

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PHILOSOPHIE DE LA NATURE

des Rose-Croix il est question d’une coupe » remplie d’une certaine liqueur qui avait l’apparence physique de l’eau, mais la couleur du feu. En se délectant de cette Eau enflammée le cœur se trouvait inondé de clarté et la poitrine était comme gonflée de sagesse. »[1] De même chez Novalis, après l’arrivée du Maître de Saïs, les assistants boivent dans des coupes de cristal d’où « sortait une flamme rafraîchissante, s’élevant jusqu’aux lèvres des interlocuteurs. » Ce breuvage de feu, inspirateur de la vraie Sagesse, passait pour être par excellence le mystère d’Isis.[2] À diverses reprises la divine Sophie jette sur la nourrice et l’enfant quelques gouttelettes du miraculeux breuvage, qui s’évaporent instantanément en une buée bleuâtre, où apparaissent mille arabesques poétiques, rêveries naïves et capricieuses de l’enfance. Mais dès qu’une gouttelette tombe sur le Scribe elle se transforme en un interminable chapelet de chiffres et de figures géométriques, qu’il enroule autour de son cou décharné. Dans le même liquide Sophie plonge les tablettes qu’il lui présente : presque tout est effacé, seuls quelques caractères subsistent, après ce bain révélateur, fixés à présent en une belle encre d’or indélébile. L’allégorie est transparente : le liquide, c’est l’imagination créatrice, source commune du génie artistique et scientifique. Tant que Sophie, la divine Sagesse, restera près de l’autel, prêtresse vénérée du foyer, inspiratrice des grandes pensées, l’harmonie et le bonheur ne cesseront de régner dans l’âme humaine. Mais elle a deux ennemis : d’abord le Scribe, l’intellect prosaïque, qui subit impatiemment son contrôle, et surtout la « Lumière solaire » (die Sonne), c’est-à-dire « la philosophie des lumières », qui s’efforce de détrôner Arctur, le prince romantique du Hasard, afin de soumettre l’univers entier à des lois inflexibles.

Un conflit ne tarde pas à éclater. C’est d’abord une cons-

  1. Le passage se trouverait dans le 4e livre apocryphe d’Esdra, V, 14 et 39. Voir Compass der Weisen, op cit., p. 52.
  2. Voir encore Compass der Weisen, op. cit. p. 59. Novalis, N. S. I, p. 242.