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Page:Spenlé - Novalis.djvu/232

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NOVALIS

butin. Fable elle-même doit servir leurs desseins malfaisants : elle est envoyée à la recherche des tarentules, qui alimentent la lampe ténébreuse. Mais elle parvient à s’échapper. Elle remonte dans le palais du roi Arctur. « Enfant bienheureuse, s’écrie le roi attendri, — toi seule es notre libératrice ».

« Trois fois je te ferai une prière répond celle-ci : — quand pour la troisième fois je reviendrai, l’Amour sera à la porte ». D’abord elle demande une lyre. Par la puissance miraculeuse du chant elle console Ginnistan, abandonnée par Éros depuis l’imprudente aventure ; — elle éveille de nouveau l’aspiration sainte au cœur de l’amant déchu, devenu sceptique, volage, railleur, tandis qu’elle entraîne en une sarabande effrénée les vieilles sorcières, tout empêtrées dans leurs vêtements lourds et rigides. En même temps se prépare un cataclysme dans l’univers. Le Soleil, ennemi d’Arctur et de Sophie, pâlit et s’éteint : un immense bûcher, où s’immole le Cœur, la « Mère » aimante, attire à lui la flamme de l’astre usurpateur dont le disque, mat et sombre, est bientôt englouti par les flots. Par cette immolation seulement, douloureuse mais nécessaire, du Cœur et de ses affections naturelles, par ce suicide philosophique, peut s’allumer dans l’univers la flamme céleste, la lumière intérieure, l’empire de la Nuit mystique qui remplacera désormais celui de la lumière extérieure, dont le Soleil était le foyer provisoire. Car le Soleil représente la régularité inflexible des jours et des saisons et en même temps la lumière orgueilleuse de la science, de l’« Aufklærung » ; il est l’allié naturel du Scribe, qui assiste avec terreur à sa déchéance. « Un jour ton horloge marquera la fin du temps », avait déjà chanté le poète dans les Hymnes à la Nuit, « lorsque tu deviendras pareil à nous tous et que, consumé par la nostalgie tu t’éteindras et lu mourras. »[1]

« La Flamme est-elle arrivée ? » demande Fable. — « Elle est arrivée », répond le roi Arctur. « La Nuit est passée et

  1. N S. I, p. 313.