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Page:Spenlé - Novalis.djvu/237

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PHILOSOPHIE DE LA NATURE

créateur. Déjà apparaît, dans une perspective apocalyptique, la primitive cité, non plus comme l’empire des glaces, mais comme une nature printanière, fleurie et odorante, ranimée par la brise tiède et les effluves de l’amour. Il faut que le contact galvanique s’établisse à présent entre Éros et Freya. Tenant d’une main une chaîne d’or, qui trempe dans la mer, et de l’autre l’épée aimantée, lancée dans le monde par le vieux héros, Éros « place le pommeau sur sa poitrine et dirige en avant la pointe ». Dans cette attitude, il s’avance vers la princesse. L’étincelle brille, mais la secousse a été si forte que Fable est presque tombée à la renverse. Quant à Freya, qui donnait toujours, du coup elle s’est réveillée et Éros se jette dans ses bras. « Un long embrassement scella l’alliance éternelle. » Il ne reste plus qu’à ouvrir les portes du palais, pour que la foule vienne acclamer, — et à célébrer les noces symboliques. Quant aux antiques ennemis d’Arctur — « l’antiphysis » matérialiste, — c’est-à-dire la Matière inerte, l’intellect prosaïque, la Lumière orgueilleuse du Soleil, — ils apparaissent portés sur une plaque de pierre : ce sont des figurines d’albâtre et de jaspe noir, rangées en jeu d’échecs, et qui charmeront les loisirs des couples royaux. Le nouveau roi embrasse son épousée. Pareillement font les autres couples entre eux, chacun à chacune. Tout ce qui peut embrasser embrasse. « On n’entendait plus que des mots caressants et des bruits de baisers. » Fable se met à filer des jours de soie et d’or et chante d’une voix forte : « Le royaume de l’Éternité est fondé ; l’Amour et la Paix mettent un terme à l’antique conflit ; le long rêve douloureux s’est évanoui : Sophie reste à jamais la prêtresse des cœurs. »

Il est difficile de porter un jugement sur une œuvre littéraire si bizarre : les termes de comparaison manquent. C’est un délire d’abstractions où, à côté d’évocations gracieuses et d’arabesques ingénieuses, l’absurde et le grotesque ont plein droit de cité. On y trouve tous les caractères propres de l’imagination cabalistique. L’auteur use du même procédé, qui déjà inspirait ses premiers cahiers philosophiques, et