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Page:Spenlé - Novalis.djvu/252

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NOVALIS

tendre. »[1] En attendant que fût faite l’éducation romantique de cet esprit un peu rustaud, on ne voyait dans ses accès d’irréligiosité que les écarts d’un tempérament mal dompté. Novalis le tout premier demande l’impression du « Heinz Widerporst » dans l’Athenæum, où ce pamphlet, irréligieux devait faire pendant à un dithyrambe religieux du jeune poète : « Europa ou la Chrétienté ».

Depuis quelque temps en effet Frédéric Schlegel et Novalis s’entretenaient, dans leur correspondance, d’un projet singulier, qu’ils appelaient leur « projet biblique ». — « Pour ce qui est de la religion », écrivait le premier, « ce n’est pas une plaisanterie et je crois, avec le plus grand sérieux, que l’heure est venue d’en fonder une. C’est la fin des fins, vers laquelle tout le reste converge. Oui, je vois déjà apparaître au grand jour ce produit, le plus grandiose des temps modernes, sans bruit, comme le christianisme primitif, dont on n’aurait jamais cru qu’il allait engloutir l’empire romain : pareillement cette nouvelle grande catastrophe, en se répandant toujours plus, absorbera la Révolution française, dont le plus solide mérite aura été précisément de la provoquer. »[2] Il insiste sur le caractère éminemment religieux de la Bible nouvelle, qu’il annonce et prépare. « Mon projet », écrit-il, « n’est pas littéraire, mais biblique, absolument religieux. Je pense fonder une religion nouvelle ou plutôt aider à l’annoncer, car elle viendra et triomphera aussi sans moi… Qu’un tel résultat puisse être atteint par un livre, il y a d’autant moins lieu de s’en étonner que les grands auteurs en matière de religion, Moïse, le Christ, Mahomet et Luther, ont été de moins en moins des hommes politiques et de plus en plus des maîtres et des écrivains. »[3] Le partage des rôles l’embarrassait quelque peu et quoiqu’il se sentît l’énergie combative d’un Luther, d’un saint Paul, ou d’un Mahomet, il reconnaissait d’autre part

  1. Raich, op. cit., p. 110.
  2. Walzel, op. cit., p. 421.
  3. Raich, op. cit., pp. 84 et 85.