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Page:Spenlé - Novalis.djvu/251

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PHILOSOPHIE DE LA NATURE

est palpable… Aussi ai-je renoncé à toute religion, hormis à celle qui me dirige, de qui je tiens mes sens, qui me conduit à la poésie, qui journellement fait battre mon cœur ». Voilà la religion que lui a révélée la nature. Avec une verve un peu grossière, il prenait à parti ces jeunes mystiques, qui ne parlent que de « macérations, d’affranchissement violent du monde des corps. »[1] Ce sont de petits tempéraments, incapables d’une production forte et virile. « Ils sont naturellement dépourvus de magnétisme. Cependant, qu’ils se frottent à un tempérament véritable, qu’ils sentent passer sur eux un peu de sa force, et aussitôt ils se croient semblables à lui, capables tout seuls de marquer le Nord. »

Peut-être faut-il voir une réponse à ce pamphlet dans un petit dialogue de Novalis sur la Nature. « Tu appartiens à la classe des réalistes », dit un des interlocuteurs, « ce qui veut dire en bon allemand : tu es un grossier personnage… Ce qui fait vraiment le naturaliste, c’est la grossièreté, car, vois-tu, la nature est extraordinairement grossière et qui veut bien la connaître, doit la traiter grossièrement. Pour fendre une grosse bûche, il faut un gros coin, dit le proverbe… »[2] Tempérament de Souabe un peu massif, Schelling se sentait mal à l’aise dans les cercles littéraires d’Iéna. « Pour ce qui est de Schelling », écrivait Caroline Schlegel, « on n’a jamais vu écorce plus rude… Il se tient sur la défensive en ma présence et se défie de l’ironie à la Schlegel. Comme il manque absolument de gaîté, il ne sait pas prendre les choses par le bon côté. Son travail opiniâtre l’empêche de sortir beaucoup ; de plus il habite chez les Niethammer et est entouré de Souabes, dans la société de qui il peut s’épanouir. Dès qu’il quitte le terrain des conversations banales ou des communications scientifiques, son esprit se raidit et je n’ai pas encore trouvé le secret de le dé-

  1. Allusion, sans doute, au « suicide philosophique » de Novalis et à sa théorie de l’extase.
  2. N. S. I, pp. 259-260.