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Page:Spenlé - Novalis.djvu/275

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LA RELIGION NATURISTE

résolution formelle de m’en tenir, en toute simplicité, à la vérité qu’avait saisie mon cœur et à rejeter loin de moi tout ce qui ne pouvait se déduire de ce principe. Je me dis en moi-même : alors même que tous renieraient mon bon Seigneur, je veux cependant m’attacher à lui et vivre et mourir avec lui. Ainsi pendant de longues années j’ai vécu avec lui comme avec un compagnon d’enfance. Mais je ne compris pas entièrement la grandeur de son martyre, jusqu’au jour où je fus à tel point touché de tout ce qu’avait souffert pour moi mon Créateur, que j’éprouvai, au milieu de mes larmes, sa présence invisible. Je me dis à moi-même : s’il était possible qu’il y eût un autre Dieu, je préférerais être damné avec le Sauveur qu’être bienheureux avec cet autre Dieu. » La même pensée, exprimée presque dans les mêmes termes, fait la matière du sixième cantique de Novalis : « Si tous te trahissent, moi seul je te resterai pourtant fidèle. » L’attachement au Christ prend ainsi l’aspect d’une sorte de « loyalisme » sentimental, de point d’honneur chevaleresque.

En même temps apparaît un second élément essentiel de cette sensibilité religieuse : la pitié. C’est à la vue d’un tableau, représentant la figure du Christ agonisant, que s’était déclarée chez Zinzendorf la seconde crise de sa vie religieuse. « Voici ce que j’ai fait pour toi : et toi, qu’as-tu fait pour moi ? », cette interrogation muette ne cessa désormais de hanter son esprit. Ce qui l’avait frappé dans la Passion c’était moins encore l’élément, moral, que l’étalage en quelque sorte physiologique de la souffrance. De là les litanies, les invocations aux blessures et aux plaies du Crucifié, à son sang, à sa sueur d’agonie, qui donnent aux cantiques de Zinzendorf un caractère de réalisme souvent écœurant, — surtout lorsqu’elles se trouvent exprimées dans ce style affecté, plein de mièvrerie enfantine, dont il s’était fait son idiome religieux. Chez Novalis apparaît le même motif fondamental de la pitié religieuse, — mais spiritualisé, épuré de tous les éléments réalistes, inesthétiques ou cho-