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Page:Spenlé - Novalis.djvu/277

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LA RELIGION NATURISTE

les heures de ma vie, celle-là restera, comme mes blessures, éternellement vive, inaltérablement douce. » — Tantôt au contraire c’est dans la contemplation douloureuse et en même temps voluptueuse du Christ agonisant que se plonge l’imagination du croyant. On sait combien cette note sentimentale était familière à Novalis. Elle remplit tout son Journal intime. « Ce soir, vive impression de sa mort », écrivait-il peu de jours après la mort de sa fiancée. Et ailleurs : « Que Dieu me conserve toujours cette douleur indiciblement douce, ce souvenir plein de tristesse ! ». Il lui suffira donc de substituer l’image du Christ à celle de Sophie, ou, plus exactement, une confusion va s’opérer dans son esprit entre ces deux images, — d’une manière très consciente et très voulue. « Tous nos penchants », dit-il, « ne semblent être que de la religion mise en pratique… Lorsqu’en se détachant de tout objet particulier et réel, le cœur se sent lui-même. lorsqu’il devient à lui-même son propre objet idéal, alors naît la religion… Si nous faisons de la femme aimée une pareille divinité, c’est de la religion mise en pratique. »

Ces lignes nous révèlent un troisième aspect, et peut-être le plus essentiel, de la piété religieuse chez Novalis. Déjà Zinzendorf, renouvelant une vieille conception catholique, représentait l’union mystique de l’âme croyante et de son Sauveur, et plus particulièrement les rapports de l’Église et du Christ, sous les espèces de l’amour conjugal. Au grand scandale de certains théologiens orthodoxes, — il poussait même un peu loin cette analogie risquée. Puisque le Christ est l’Époux par excellence, il s’ensuit, d’après Zinzendorf, que dans l’union conjugale l’époux terrestre n’est que le vicaire du Christ. Ainsi le rapprochement des sexes devient un véritable sacrement, analogue à celui de la Sainte-Cène. Cette conception théologique semble avoir pénétré profondément la pensée religieuse de Novalis. « Descendons vers la douce fiancée, descendons vers Jésus le bien-aimé », ainsi concluait-il déjà dans les Hymnes à la Nuit. Les deux figures de « Jésus le bien-aimé » et de « la douce fiancée »