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Page:Spenlé - Novalis.djvu/278

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NOVALIS

vont à présent s’amalgamer toujours plus dans son imagination. L’amour religieux emprunte à l’amour terrestre non seulement ses images et ses symboles mais aussi sa note affective et morale. « La vie », lisons-nous dans le premier cantique, « s’est changée en un rendez-vous d’amour ». Le poète ne craint pas, dans le second cantique, d’intervertir les termes traditionnels de l’union mystique, et de faire de Jésus « l’Épouse » du croyant. « Pourvu que tu lui découvres ton cœur », dit-il, « Il t’appartiendra à jamais comme une épouse fidèle » (« bleibt er wie ein treues Weib dein eigen »). Ailleurs encore. — dans le cantique troisième, — la même image reparaît : « Il mourut, et cependant tu éprouves chaque jour son amour et sa présence et, sans crainte, en quelque état que tu te trouves, tu peux amoureusement l’attirer dans tes bras. » Le cantique septième tout entier, — c’est-à-dire l’hymne de la Passion, pourrait aussi bien s’intituler : hymne mystique sur la mort d’une fiancée.

L’hymne spirituelle devient ainsi une sorte de « Minnelied » religieux. Dans ce genre Novalis a su trouver quelques notes uniques, si simples, d’une venue si spontanément populaire, qu’il faudrait, pour trouver en littérature quelque chose d’équivalent, remonter jusqu’aux premiers auteurs de cantiques, — aux Gerhart et aux Luther, — ou plus exactement jusqu’aux « Minnesænger », comme Walther von der Vogelweide. Qu’on relise le cantique cinquième et on s’expliquera l’émerveillement qu’éprouvait Frédéric Schlegel. « La poésie là-dedans », écrivait-il, « ne ressemble à rien, si ce n’est aux premières poésies de Gœthe ». C’est une véritable trouvaille, par l’extraordinaire limpidité de la forme, par l’émotion ingénue, dénuée de toute emphase, de tout ornement littéraire, par la mélodie simple et entraînante de la versification. « Pourvu qu’il soit à moi, pourvu que je Le possède, pourvu que mon âme n’oublie pas jusqu’à la tombe combien Il est fidèle ! Je ne sens rien de la souffrance, je n’éprouve que recueillement, amour et joie… Pourvu qu’Il soit à moi ! Je laisse volontiers tout le reste ;