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Page:Spenlé - Novalis.djvu/280

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NOVALIS

guste, vous disparûtes dans la splendeur des nuées profondes… Mille et mille fois vous êtes venue près de moi ; avec une joie enfantine je levais vers vous mes regards ; votre petit enfant me donnait ses mains à presser, en signe d’un prochain revoir. Vous souriiez avec tendresse et vous m’embrassiez : ô heures divinement douces !… Si seul un enfant peut contempler vos traits et sans trouble s’abandonner à votre garde, brisez donc les liens dont l’âge m’a chargés, faites de moi votre enfant. L’amour et la fidélité de l’enfant, je les ai, depuis cet âge d’or, toujours gardés au fond de mon cœur. »

N’est-ce pas du reste une des plus étranges anomalies de la Réforme, surtout en Allemagne, pays de la vie familiale, d’avoir si complètement proscrit du culte l’image de Marie ? Sur ce point l’emportement doctrinaire des théologiens s’est peut-être mis le plus violemment en opposition avec l’imagination religieuse et populaire du Moyen-âge. La Vierge et l’Enfant apportaient dans la mythologie chrétienne une familiarité gracieuse et touchante. Aussi dès le 17me siècle voit-on cette figure réapparaître chez les mystiques comme Bœhme, Arnold, — mais transformée, rendue méconnaissable, sous les traits de la « Divine Sophie » ou de « l’Éternelle Sagesse », figure à présent incorporelle, issue du cerveau d’un métaphysicien, dépouillée de son humaine et maternelle beauté. Pareillement les poètes classiques allemands ont rendu un culte quasi-religieux à l’Éternel féminin. Ils devaient être tout naturellement amenés à symboliser leur idéal en une figure concrète et Gœthe n’hésita pas à introduire la Vierge dans son Faust. Herder publiait dans la « Terpsichore » des sonnets et des poésies mystiques du jésuite Jakob Balde, sous le titre collectif de « Maria ». Prédicateur protestant à la cour de Weimar il éprouvait quelque embarras à présenter son personnage. « Celui qui ne veut pas voir dans l’héroïne de ces chants une Sainte », disait-il en guise d’avant-propos, « pourra en faire une Aglaé ou une Béatrice, l’idéal des vertus virginales et ma-