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Page:Spenlé - Novalis.djvu/279

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LA RELIGION NATURISTE

appuyé sur mon bâton de pèlerin, je ne suis, fidèle, que mon Seigneur ; je laisse en paix marcher les autres par les grandes routes populeuses et ensoleillées… Pourvu qu’il soit à moi ! Le monde m’appartient ; je suis heureux comme un enfant du ciel qui tient le voile de la Vierge. Perdu dans cette vision, je ne crains plus la terre… »[1]

Peut-être faut-il voir dans les hymnes à Marie ce que Novalis a composé, dans ce genre, de plus parfait. Il y en a deux seulement, mais ce sont d’inestimables joyaux. Schleiermacher, qui ne partageait pas l’étroitesse intransigeante de certains de ses coreligionnaires allemands, les admirait sans réserve. Dans la charmante description d’un intérieur piétiste, qu’il a esquissée dans sa « Fête de Noël », au moment où l’émotion religieuse fond tous les cœurs en un même attendrissement, une mélodie s’élève du clavecin et une voix de femme chante doucement les beaux vers de Novalis : « Je vois en mille tableaux, ô Marie, votre image souriante ; pourtant sur aucun je ne vous vois représentée telle que vous a aperçue mon âme. Je sais seulement que depuis lors le bruit du monde pour moi s’évanouit comme un songe et qu’un ciel d’ineffable douceur à jamais remplit mon cœur. »

Le culte de Marie ne se prêtait-il pas le mieux au « Minnelied » religieux, tel que le concevait Novalis, et dans lequel entrait une qualité d’émotion complexe, un sentiment d’amoureuse adoration pour la femme « idéale », pour « la Dame de la Chrétienté, sainte et merveilleusement belle », et aussi un sentiment de chevaleresque dévotion et de filiale confiance ? — « Souvent en rêve je vous ai vue, si belle, le cœur débordant d’un si profond amour. Le Dieu enfant dans vos bras voulait se prendre de compassion pour son petit compagnon : mais vous, levant au ciel votre regard au-

  1. C’est ce cantique que Schleiermacher récita, la voix étranglée par l’émotion, dans un de ses derniers sermons. Grâce à son entremise, quelques-uns de ces cantiques ont été adoptés dans le recueil berlinois de Cantiques populaires pour les églises évangéliques. — recueil composé en 1829. — et ils servent encore aujourd’hui à l’édification des fidèles. Voir Nachlese, op. cit., p. 265.