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Page:Spenlé - Novalis.djvu/307

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HENRI D’OFTERDINGEN

Gœthe a connu et observé le romantisme, il s’en est parfois approprié la manière, mais en observateur attentif et curieux, non comme un romantique lui-même. Les crises sentimentales, morales et religieuses, où se débattait la jeune génération, il les avait traversées autrefois et il s’en était libéré. Au mysticisme, sous toutes les formes, il apportait encore une curiosité d’artiste et de naturaliste. Mais s’il aimait à l’étudier comme un fait humain spontané, il n’aimait pas qu’on en fît un principe réfléchi ou arbitraire de pensée et d’activité. Par cet aspect le romantisme lui apparaissait comme un symptôme maladif. Particulièrement l’idéalisme romantique, ce mélange de philosophie et de mysticisme, d’art et religion, répugnait à ses instincts profonds. Son culte d’artiste allait sans doute à la Beauté, mais en quelque sorte impersonnelle comme la Nature. Il ne séparait pas la poésie de la réalité, il ne la proclamait pas, comme les néo-mystiques du romantisme, une vie supérieure et exaltée, une extase, une révélation surnaturelle et divine. D’abord parce que cette nouvelle terminologie géniale lui déplaisait ; et puis aussi parce qu’il possédait trop bien son art et le dominait de trop haut pour pouvoir encore ainsi l’idolâtrer.

D’où vient que, passionnément admiré par la génération poétique nouvelle, il n’agît cependant pas profondément sur sa vie morale ? C’est qu’il était entièrement l’homme de l’intuition concrète et sensible ; par cela même son horizon se trouvait nécessairement borné. Comme il lui répugnait d’employer dans l’étude de la nature les instruments de laboratoire, qui artificiellement décomposent la perception vivante et colorée de l’univers, ainsi il voyait sans sympathie dans l’ordre moral l’effort de la critique et de l’analyse, dès qu’elles se mettaient en conflit avec les forces historiques, avec les traditions établies. Le sens de l’idéalisme novateur, révolutionnaire ou mystique, lui échappait souvent. À plus d’un égard il était resté le fils de la vieille bourgeoisie patricienne de Francfort : il en avait gardé certaines habitu-