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Page:Spenlé - Novalis.djvu/320

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NOVALIS

Le matinal promeneur n’avait pas fermé l’œil de toute la nuit : le rêve éveillé qui enivrait en ce moment son cœur lui paraissait meilleur que le plus doux et le plus réconfortant des sommeils. Lorsqu’il eut dépassé les dernières habitations, le disque du soleil avait percé les brumes matinales et s’enfonçait, éblouissant, dans un ciel sans nuage. Une brise vivifiante s’était levée du côté de l’est. Le chemin longeait à présent la lisière d’une forêt, de chênes, dont le frissonnement se prolongeait dans le bruit lointain d’une cascade, tandis que les campagnes, agitées par le vent, faisaient courir jusqu’à l’horizon de longs remous de verdure. « Il me semblait », raconte le jeune rêveur, « que les grands iris bleus, dont la plaine était parsemée, et les hautes campanules qui balançaient au vent leurs clochettes, carillonnaient déjà la fête du lendemain. En entrant sous le dôme des chênes et des hêtres je me sentis tellement gagné par le calme et la paix qui régnaient dans la nature, que je m’assis et me perdis dans la lecture de Novalis, — lorsque, tout à coup, effrayé de ma longue halte, je me redressai vivement, pour reprendre mon chemin. »[1] Feuilletons à notre tour le petit livre, dont la lecture avait plongé le promeneur matinal en une si captivante rêverie.

Nous voici en Thuringe, dans la petite ville d’Eisenaeh. L’époque, assez indéterminée, marque le déclin du Moyen-âge, la fin du 12me et le commencement du 13me siècle, période éminemment, romantique, où la poésie des choses qui finissent se mêle aux pressentiments confus d’une ère nouvelle. Et c’était bien là le caractère que gardait la Thuringe en plein 18me siècle. Les campagnes paisibles aux pieds des montagnes boisées, couronnées de castels, les petites villes proprettes, la bonhomie souriante des habitants et du paysage lui-même, tout conspirait à entretenir les souvenirs d’un passé idyllique et patriarcal. Dans ce milieu devait s’écouler la première enfance de Henri d’Ofterdingen. « Ainsi entre les siècles de barbarie farouche et la civili-

  1. Schubert, Selbstbiographie, op. cit., p. 9-10.