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Page:Spenlé - Novalis.djvu/322

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NOVALIS

« ont surtout lieu le matin et quelque temps avant le réveil, après que les sens externes se sont rétablis des fatigues de la veille et que leurs extrémités nerveuses aboutissant au cerveau, réveillées les premières, sont déjà dans l’attente de l’acte ou commencent d’elles-mêmes à entrer en activité, stimulées peut-être aussi par quelque excitant du dehors, qui se mêle confusément, au rêve ou en détermine l’origine. »[1] Tel est bien le rêve que nous voyons se dérouler maintenant :

« Il se trouvait couché sur un gazon moelleux, près d’une source qui jaillissait à fleur-de-terre et semblait s’évaporer au contact de l’air. Des rochers bleu-sombre, couverts d’un réseau de veines multicolores, surgissaient à quelque distance. L’éther lumineux qui le baignait était plus clair et plus doux que la lumière ordinaire. Le ciel, sans la moindre impureté, était d’un bleu sombre. Mais ce qui fascinait ses regards, c’était une Fleur svelte et azurée,[2] au bord même de la source, qui le frôlait, de ses larges palmes scintillantes. Elle s’élevait, parmi d’autres fleurs, diversement nuancées, dont les senteurs suaves embaumaient l’atmosphère. Il n’avait d’yeux que pour elle et l’enveloppait d’un regard d’ineffable tendresse. À la fin il allait s’approcher, lorsqu’elle se mit à tressaillir et à se transformer sous ses yeux. Les feuilles devinrent plus brillantes et se collèrent à la tige, qui lentement s’allongeait. La Fleur s’inclina vers lui et les pétales, en s’écartant, découvrirent une collerette bleue, où flottait un visage charmant. Son doux émerveillement allait en grandissant toujours, pendant que s’accomplissait l’étrange métamorphose, — quand tout à coup la voix de sa mère le tira de son rêve, et il se retrouva dans la chambre de ses parents, dorée par les premiers rayons du matin. »

  1. Maine de Biran, Œuvres philosophiques. Tome II. La décomposition de la pensée, p. 268.
  2. Il ne faudrait pas vouloir trop préciser, d’après cette description, la famille et l’espèce de cette fleur. Il semble cependant qu’il s’agisse du lotus bleu, cher aux théosophes. En effet dans la suite projetée du roman, Novalis se proposait de célébrer les fleurs de l’Inde.