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Page:Spenlé - Novalis.djvu/330

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NOVALIS

haine et du mauvais désir, voici l’œuvre du bon désir et de l’amour romantique. — Jadis, dans un empire lointain, la merveilleuse Atlantide des théosophes, les arts ont épanoui toutes leurs splendeurs et le bonheur de tous aurait été sans mélange, si à cette terre fortunée n’avait manqué quelque chose de plus intime et de plus secret : l’amour n’avait pas encore parlé au cœur de la jeune princesse, l’unique héritière du royaume. Cependant une fleur de nostalgie amoureuse s’épanouissait silencieusement dans le cœur d’un jeune ménestrel, qui loin de la cour, dans une retraite ignorée, avait grandi auprès de son père, vénérable naturaliste. La rencontre en apparence fortuite de ce couple prédestiné, les progrès imperceptibles de l’amour, la disparition soudaine de la belle princesse qui, loin des fêtes brillantes de la cour, a suivi dans la chaumière l’appel irrésistible de son cœur, le deuil et la tristesse du roi son père et enfin, après les joies chastes de l’amour caché, l’épreuve purifiante, le pardon imploré, l’apaisement et la réconciliation au cœur du père offensé : telles sont les péripéties de la romanesque aventure. L’allégorie est transparente : la chaumière où se trouvent rassemblés le vieux naturaliste, le jeune poète et la belle princesse symbolise l’union des sciences de la nature, de la poésie et de l’amour dans l’esthétique romantique. L’adoption du jeune couple et son couronnement représentent, la domination religieuse et sociale par l’art, que rêvaient les poètes de la nouvelle école.

On pourrait rapprocher la dernière partie de ce « Mærchen » de Novalis de la ballade célèbre de Gœthe « Le chanteur », intercalée dans Wilhelm Mleister. La situation est à peu près la même chez les deux auteurs : devant la brillante assemblée, présidée par un roi ami des arts, un ménestrel s’avance. Mais entre les deux figures principales, quelle antithèse déjà ! Ici, la noble et sereine figure du chantre homérique, du vieillard recueilli et inspiré, dont le front s’est auréolé de sagesse, dont les yeux se sont fermés