Aller au contenu

Page:Spenlé - Novalis.djvu/329

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
321
HENRI D’OFTERDINGEN

quittera sa réserve farouche ; des jeunes filles rieuses auront vite fait de vous dégourdir l’esprit et de vous délier la langue. » Par eux aussi Henri entend une première fois parler de poésie, sous une forme populaire et naïve, sous forme de légendes et de paraboles. La première parabole qu’ils lui racontent est la légende d’Arion. Ce mythe, où se trouvait allégoriquement exposé le pouvoir miraculeux du chant et de la poésie, était particulièrement en honneur auprès des auteurs romantiques. Guillaume Schlegel l’avait versifié, en prenant pour modèle les grandes ballades de Schiller. Tieck l’avait également traité en vers et intercalé dans les « Fantaisies sur l’Art » d’abord, et puis dans « Franz Sternbald ». C’est pour cela peut-être que Novalis se contente d’une narration en prose. Encore dépouille-t-il presque complètement le mythe de l’élément descriptif, pour en approfondir surtout le sens allégorique et philosophique. Deux puissances se combattent dans le monde : la cupidité, la soif de l’or, le désir égoïste d’appropriation qui n’engendre que haine, rapines, endurcissement ; — et la poésie, puissance d’apaisement, d’humanisation. Le monde primitif était sous l’empire de cette dernière. Mais la convoitise mauvaise s’est éveillée dans le cœur humain, qui s’est endurci. Des hommes cruels et ravisseurs se sont partagé les dépouilles du chanteur. La poésie, serait morte pour toujours, si une sympathie miraculeuse, issue des profondeurs obscures de la nature et symbolisée par un dauphin, n’était accourue à son secours. Mais là ne s’arrête pas le mythe chez Novalis : il faut, dans un épilogue, que les puissances meurtrières, retournant contre elles-mêmes leur fureur homicide, se déchirent et s’entre-détruisent et que le trésor rentre enfin au pouvoir de son possesseur légitime, le poète, le seul qui saura en user noblement.

Un second apologue raconté par les marchands, — les amours de la princesse et du ménestrel, — complète la pensée exprimée dans la légende d’Arion. Après l’œuvre de la