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Page:Spenlé - Novalis.djvu/333

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HENRI D’OFTERDINGEN

poète, une des multiples incarnations de la Fleur bleue qui hante sa pensée et son cœur. Peut-être faut-il y voir aussi une réminiscence de la figure de Mignon. Certaines strophes de l’Orientale font songer en effet aux regrets nostalgiques du personnage gœthien. Novalis reprochait au poète classique d’avoir incarné l’élément romantique dans une enfant malade et dans un vieillard dément. « Tout ce qui est romantique », disait-il de Wilhelm Meister, « périt dans le roman. La poésie y revêt un aspect pathologique. » Ainsi Soulima donnerait la réplique à Mignon, de même que nous avons vu le jeune troubadour donner la réplique au vieux Harpiste errant. Mais ici encore le rapprochement n’est guère à l’avantage du poète romantique. Il nous fait toucher du doigt un des grands défauts de son art : son impuissance à évoquer des personnages concrets et vivants. Loin bien à côté de la figure de Mignon, si plastique dans le mystère qui l’enveloppe, l’Orientale de Novalis paraît inconsistante, fantomatique, froidement allégorique !

Henri d’Ofterdingen et ses compagnons ont repris leur voyage. Ils entrent dans une contrée abrupte et rocheuse. Dans une auberge villageoise Henri rencontre un nouveau personnage, dont les paroles exerceront sur sa destinée intérieure une influence profonde : le maître mineur Werner, nouvelle incarnation du maître de Freiberg. Rien ne montre mieux chez Novalis l’ignorance systématique des réalités sociales que le tableau idyllique qu’il trace de la dure existence des mineurs. Quoique romantique aussi, Steffens avait emporté de tout autres impressions de son séjour à Freiberg. « Avec beaucoup d’intérêt, — raconte-t-il, — je visitai les cabanes des mineurs, C’est un petit peuple paisible, d’un caractère facile : cependant je dois dire que de toutes ces prétendues légendes sur le monde souterrain et de toute cette poésie qui à leurs occupations donnerait une signification plus élevée, je n’ai vu trace. La misère accablante, le souci harcelant du lendemain ne permettent ni à la souffrance, ni à l’espérance, ni à la terreur de s’exprimer