Aller au contenu

Page:Spenlé - Novalis.djvu/357

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
349
HENRI D’OFTERDINGEN

pays de la Beauté…[1] La poésie donne de la valeur à chaque détail en le mettant en un rapport original avec l’ensemble, et si la philosophie, par sa constitution même, prépare le monde à subir l’influence des Idées, la poésie est pour ainsi dire la clé de la philosophie, elle donne à celle-ci son but et son vrai sens, car c’est elle qui prépare la sociabilité harmonieuse, la famille cosmique, l’économie esthétique de l’univers…[2] Le monde doit être romantisé. Ainsi on en retrouvera le sens primitif… Lorsque je prête à ce qui est commun un sens auguste, à ce qui est ordinaire un aspect mystérieux, à ce qui est connu la dignité de l’inconnu, à ce qui est fini une perspective infinie, je le romantise…[3]

Diverses solutions peuvent se présenter. Ou bien la réalité s’affirme en un conflit grandissant avec le monde supérieur et poétique. C’est là ce qui constitue, pour Novalis, la solution proprement « dramatique ». Elle développe une dissonance, en accumulant les conflits tragiques et les contrastes violents. « Dans les drames de Shakespeare on voit d’un bout à l’autre la lutte entre la poésie et l’élément hostile à la poésie. La vulgarité y apparaît bouffonne ou spirituelle, alors que la supériorité y affecte volontiers un air austère et maussade. La vie inférieure se trouve en un perpétuel antagonisme avec les forces supérieures ; tantôt sous forme tragique, tantôt sous forme de parodie ou par un simple effet de contraste. »…[4] Tel n’est pas le point de vue où se place le romancier. La dissonance ne l’intéresse qu’en vue d’une consonnance plus profonde et comme sous-jacente. « Le roman doit être poésie de part en part ». Il découvre partout des accords admirables, des sympathies cachées, des synchronismes miraculeux, une destinée providentielle supérieure. « On a l’impression d’avoir dormi jusqu’à ce jour et d’ouvrir pour la première fois ses yeux sur le monde environnant. »

  1. N. S. II, 1, p. 292.
  2. N. S. II, 1, p. 79.
  3. N. S. II, 1, p. 394.
  4. N. S. II, 1, p. 378-379.