Aller au contenu

Page:Spenlé - Novalis.djvu/360

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
352
NOVALIS

même aux formes essentielles de toute perception, que s’attaque le délire allégorique. Grâce à la doctrine de la palingénésie, introduite dans la seconde partie du roman, l’auteur pouvait à sa guise briser tous les liens, qui rattachaient encore le récit à une époque et dans un milieu déterminés. Le temps et l’espace n’apparaissent, désormais plus que comme de simples effets de perspective, aussi illusoires que l’individualité, à qui ils servent de support. Toutes les séries chronologiques peuvent arbitrairement s’intervertir, au gré du poète, et le livre de l’Histoire peut être feuilleté indifféremment dans tous les sens. Dans l’état de conscience parfait, disait Novalis, nous vivons aussi bien dans le passé que dans le présent et dans l’avenir : nous n’avons pas besoin de retrouver notre moi par induction et comme à tâtons, dans une succession chronologique déterminée. « Le monde devient rêve et le rêve devient monde », ainsi Astralis, dans le prologue de la seconde partie, prophétise l’ère romantique nouvelle. Dans l’empire du roi Arctur et de la divine Sophie, où le roman devait se terminer, toutes les époques, toutes les saisons, toutes les régions, comme aussi toutes les individualités se confondaient en une féerique anarchie, en un même rêve universel et inépuisable, « et ce qu’on croit arrivé déjà, on peut dans un avenir lointain le voir arriver encore. »

Et ces analogies avec le rêve, qui inspirent la philosophie de l’auteur, ont aussi visiblement imprégné ses procédés de composition artistique. Que par une sorte de décomposition biologique de la pensée consciente on rende l’homme distrait à la réalité environnante et qu’on laisse libre jeu aux activités automatiques et arbitraires de son esprit : il restera une imagination organique, entièrement subordonnée dans l’apparition des images qu’elle enfante aux impressions purement affectives des organes intérieurs : à chaque espèce d’affection correspondra une image ou une suite d’images — un rêve — qui persiste tant que dure la même disposition organique et qui disparaît ou se modifie avec celle-