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Page:Spenlé - Novalis.djvu/397

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LES COURANTS D’OPINION

sionomie complète et absolument authentique du jeune écrivain ? Ce serait, croyons-nous, singulièrement méconnaître ce tempérament fuyant et complexe, à personnalités multiples et changeantes, qui de bonne heure s’était habitué à vivre par l’imagination une seconde vie fictive, entièrement différente de la vie réelle. Just avoue lui-même ingénument qu’il lui était parfois difficile, à cause de « la lourdeur massive » de son esprit, de suivre le jeune rêveur dans les régions idéales où il aimait à s’égarer. « Il passait mainte heure dans les salines, avec l’air égaré d’un homme qui habile d’autres régions. » (p. 33). Sans nul doute le langage que Novalis tenait à la table de l’honorable bailli ne devait pas être entièrement celui qu’il tenait dans les cénacles romantiques d’Iéna. « La littérature est pour moi chose accessoire », disait-il au premier : ce qui ne l’empêchait d’écrire dans ses fragments : » La poésie est vraiment le Réel absolu. C’est là le noyau de ma philosophie ». Et puis il semblerait aussi que Just mit nourri quelques arrière-pensées apologétiques en écrivant sa notice biographique et en accent liant fortement certains traits, afin de mieux en dissimuler certains autres. Nous savons en effet aujourd’hui, par la publication de certaines correspondances, que Novalis s’était adonné à des croyances mystiques assez étranges et qu’il s’était fait dans les cercles romantiques la réputation d’un visionnaire. « Il s’est notablement modifié, écrivait Frédéric Schlegel, après une longue absence son visage s’est allongé… De plus il a tout-à-fait le regard d’un visionnaire, avec un éclat terne et fixe. » La même expression se retrouve sous la plume de Dorothée Veil. « Il a l’air d’un visionnaire, et il a des façons tout à fait étranges. » Dans une autre lettre elle précise : « Il a pris depuis peu des manières singulières et d’après ce qu’on raconte par ici, c’est tout-à-fait étrange » (Aus Schleierrmachers Leben, Berlin, 1861, III, p. 77, 130 et 132). « Parmi mes amis, écrivait Guillaume Schlegel dans une lettre à un Français, Novalis, penseur audacieux, rêveur divinatoire, à la fin vi-