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Page:Spenlé - Novalis.djvu/401

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LES COURANTS D’OPINION

Ainsi nous voyons la réputation littéraire de Novalis, née dans les cénacles romantiques, prendre peu à peu le caractère d’une véritable « légende » : d’une part ses amis s’efforçaient d’idéaliser la personne du poète, d’en faire mi apôtre inspiré, un Christ romantique — un « Saint-Novalis » — d’autre part on lui prêtait un plan philosophique et encyclopédique, dont les œuvres fragmentaires n’apporteraient que les indications premières, et dont la mort seule avait empêché la réalisation totale. Les écrits du poète deviennent ainsi des « reliques » sacrées, qu’il faut vénérer moins encore pour leur contenu réel que pour la pensée inexprimée qui s’y trouve secrètement rattachée. Tel est le sens des diverses préfaces, placées par Tieck en tête des Œuvres de Novalis. Mieux que personne Tieck, qui avait eu entre les mains les manuscrits, devait pourtant savoir dans quel désordre se suivaient ces pensées fragmentaires, incohérentes, souvent contradictoires, et combien l’auteur lui-même attachait peu d’importance à beaucoup de ces boutades philosophiques. « Une partie de mes fragments — écrivait celui-ci — est tout-à-fait fausse, une autre partie est sans valeur, encore une autre est louche (schielend) », et il avouait que, s’il choisissait la forme fragmentaire, c’est Qu’en réalité sa pensée n’était pas encore mère. « Comme fragment la pensée imparfaite s’exprime après tout de la manière la plus supportable. Cette forme doit être recommandée à quiconque n’a pas encore entièrement tiré au clair sa pensée et a cependant déjà quelques aperçus intéressants à présenter » (Novalis Schriften, 1901, II, 1, p. 295 s.). Aussi ne pouvons nous voir qu’une pieuse mystification dans les lignes que Tieck écrivait en tête de la première édition des Œuvres de son ami : « Il avait tracé le plan d’un ouvrage encyclopédique spécial où les expériences et les idées générales des diverses sciences devaient s’éclairer, se soutenir et se féconder mutuellement. De cette œuvre projetée, qui devait ne consister, semble-t-il, qu’en fragments de ce genre, les pensées quee nous publions ont