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Page:Spenlé - Novalis.djvu/403

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LES COURANTS D’OPINION

cat. Comment, après nous avoir exposé ce deuil indéracinable et cette vocation mystique pour la mort, présenter les secondes fiançailles du poète ? « Cette demoiselle Charpentier — écrivait Justinus Kerner — nous gâte tout l’effet poétique là-dedans. » Tieck se garde bien d’approfondir ce problème embarrassant. Il glisse aussi rapidement que possible. « Sophie resta le point central de sa pensée ; il la vénérait morte presque plus qu’il ne l’avait vénérée vivante sous sa forme visible. Cependant il pensa que la grâce et la beauté de sa seconde fiancée pouvaient en une certaine mesure compenser cette première perte. » (op. cit. p. XIX).

Ainsi se trouvait à peu près fixé le type légendaire qui, pendant longtemps, a reçu droit de cité dans la critique littéraire. Ce n’est pas que tout soit entièrement faux dans ce portrait. À côté du Novalis réel qu’avait connu Just, jeune homme rangé, méthodique, très préoccupé de sa carrière et de son établissement matrimonial, il y avait un second personnage, monomane mystique, qui vivait comme une seconde vie par l’imagination poétique. L’erreur, plus ou moins volontaire, des romantiques consista simplement à confondre les traits du personnage imaginaire avec les traits du personnage réel, afin de faire croire sans doute que cet art mystique, qu’ils sentaient malgré tout bien factice, plongeait par des racines profondes dans la vie réelle. On ne fit naturellement qu’exagérer toujours dans le même sens. Il faudrait lire, à titre de simple curiosité l’article « Hardenberg » dans la seconde édition du Conversations-Lexikon de Brockhaus, paru de 1812 à 1815. On y rencontre des phrases telles que celles-ci : « Nous pourrions presque, sans crainte d’être mal compris, l’appeler un médiateur poétique entre Dieu et l’humanité… On peut le considérer comme une apparition céleste, comme un jeune homme divin, qui ne fit que passer sur terre, pour prendre bientôt de nouveau son essor vers le pays bien-aimé de sa nostalgie… » — Dans un recueil d’Entretiens familiers avec Goethe, rédigés par Falk en 1824, l’auteur prête à son illustre interlocuteur différents