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Page:Spenlé - Novalis.djvu/423

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LES COURANTS D’OPINION

(Ibid. p. 235, p. 246). Il ne suffit pas à Novalis de vivre et de jouir, il veut encore se sentir vivre et jouir et c’est à quoi lui sert la réflexion philosophique. « Novalis n’est pas un hypocrite, un froid et creux objectiviste, il se donne tout entier partout où il croit trouver la vérité. Sentir profondément, éperdument, voilà son principe et voilà pourquoi la philosophie même se transforme chez lui en émotion lyrique. Il veut se sentir lui-même et il ne s’en cache pas : cette jouissance de soi — Selbstgenuss — voilà son but » (ibid. p. 247). C’est pour cela qu’il recherche de préférence les états anormaux, pathologiques même, où l’être se sent plus profondément lui-même. Ainsi faut-il interpréter les Hymnes à la Nuit : « Nous trouvons tout réuni ici : la nuit, les orgies du Gemüt, l’inexprimable, les abîmes de la volupté, la maladie, la jouissance voluptueuse de la maladie et finalement la mort qui apparaît comme une forme nouvelle de la nuit et des orgies du Gemüt » (ibid. p. 249).

Et c’est cette apologie exclusive du Gemüt, de l’inconscient, de l’irrationnel, du sentiment, intensifiés par la pensée, par l’attention passionnée, par toutes les puissances nouvelles de réflexion qu’a mises au jour la culture moderne, qui constitue le ferment réactionnaire du romantisme. L’effort naturel a été comme dévoyé, le progrès normal de l’esprit a été faussé. « Toutes les conquêtes historiques de la liberté, dans le domaine de la philosophie et de l’art, vont être ouvertement attaquées. » (p. 232). L’apologie de la théocratie et du despotisme clérical voilà l’aboutissement fatal : qu’on relise 1’« Europa » de Novalis. L’esprit moderne, arrivé au faîte de la culture « foule aux pieds l’instrument même de son affranchissement, il sacrifie toutes ses conquêtes spirituelles à une ombre illusoire du passé » (ibid. p. 239). Il y a une sorte de logique immanente, qui fait que toute exagération dans un sens entraîne une réaction d’autant plus profonde dans le sens opposé. Aux orgies du « Gemüt », à la glorification passionnée de l’arbitraire individuel, à l’émancipation anarchique du cœur et de l’i-