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NOVALIS DEVANT LA CRITIQUE

tiques allemands. La tradition spirituelle qui relie secrètement ces deux époques littéraires apparut mieux, lorsqu’en 1895 M. Maeterlinck publia une traduction des Disciples à Saïs et des fragments de Novalis, précédée d’une étude sur le jeune mystique allemand. Cette introduction, très symptomatique et, en un certain sens, initiatrice, ne donne cependant qu’une idée très imparfaite et, à certains égards, même fausse du poète romantique. M. Maeterlinck a vu Novalis à travers les préfaces de Tieck et l’Essai de Carlyle. Cette figure de légende il s’est travaillé à la rendre plus vaporeuse, plus incolore, plus irréelle encore. Il n’a voulu reconnaître en Novalis ni le philosophe, ardent disciple de Fichte, ni l’artiste, épris d’art gœthien, mais seulement l’auteur de quelques fragments mystiques, — âme incohérente, sans flamme et sans passion, qui promène sur le monde un regard étonné et doucement extravague. « C’est un mystique presqu’inconscient et qui n’a pas de but… Il sourit aux choses avec une indifférence très douce et regarde le monde avec la curiosité inattentive d’un ange inoccupé et distrait par de longs souvenirs… Il vit dans le domaine des intuitions erratiques, et rien n’est plus ondoyant que sa philosophie… C’est un Pascal un peu somnambule, qui n’entre que très rarement dans la région des certitudes où se complaît son frère ». (Les Disciples à Saïs et les Fragments de Novalis, traduits de l’Allemand et précédés d’une introduction, par Maurice Maeterlinck, Bruxelles, 1895). Certes on reconnaît difficilement dans ce portrait le fonctionnaire scrupuleux de Weissenfels, l’ingénieur très préoccupé d’améliorations techniques, — le jeune philosophe, lecteur passionné de la « Wissenschaftslehre », qui rêvait de mettre l’Absolu en logarithmes et de découvrir pour l’invention artistique et les procédés de composition littéraire une méthode algébrique universelle, — l’auteur de Henri d’Ofterdingen enfin, qui, de son roman, projetait de faire une Encyclopédie universelle, le document des « années d’apprentissage d’une nation tout entière ». Et s’il se ren-