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Page:Spenlé - Novalis.djvu/66

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NOVALIS

sources du désir, d’alanguir l’essor passionné de l’imagination.

Ainsi, par un travail secret de réflexion intérieure et d’allégorisation l’instinct se transforme. En s’intellectualisant, il se détache de son objet, pour vivre d’une vie différente et nouvelle. Telle était, dès le début, chez Novalis la qualité particulière de son amour pour Sophie que, morte, il devait l’aimer mieux qu’il ne l’eût jamais aimée vivante. Il pourra alors s’abandonner sans réserve à la contemplation passionnée de l’idole qu’il s’était forgée et où il s’adorait lui-même, à l’analyse voluptueuse de son propre moi, sans que la présence trop concrète de l’objet terrestre vienne entraver encore sa rêverie. Déjà il pressentait la nécessité d’un détachement complet : de là ses inquiétudes, son irrésolution, à l’heure où il semblait le plus près de toucher au but de ses désirs. Comment expliquer autrement les lignes qu’il écrivait à Frédéric Schlegel peu après la mort de sa fiancée : « Je puis te l’assurer sur ce que j’ai de plus sacré au monde, je vois maintenant clairement quelle céleste conjoncture a été sa mort, une clé qui ouvre tout, une étape miraculeusement nécessaire. Ainsi seulement bien des complications pouvaient recevoir une solution décisive, ainsi seulement maint germe précoce pouvait parvenir à sa maturité. »

Cette crise sentimentale s’annonce donc par les mêmes symptômes qui étaient apparus jadis lors de la vocation militaire du jeune étudiant de Leipzig. La passion s’exalte jusqu’à l’idée-fixe ; elle met en branle tout l’être moral et intellectuel. Mais en s’exaltant elle s’idéalise sans cesse. Par une sorte de désappropriation profonde de l’instinct, elle se replie sur elle-même, se désintéresse de plus en plus de son objet, ou plutôt elle « brûle » cet objet, elle le consume dans les flammes intérieures du désir et finit par trouver dans cette immolation même la suprême volupté. Tel est le sens caché de l’idéalisme mystique chez Novalis. « Crois-le moi », écrivait-il à Leipzig, « nous pouvons tirer