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Page:Spenlé - Novalis.djvu/67

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AMOUR MYSTIQUE

tout de nous-mêmes ». C’est le même langage que tiendra le Disciple à Saïs, dans le fragment philosophique qui porte le même nom. « Je me réjouis », dit-il, « à la vue des entassements et des figures étranges qui peuplent les salles ; mais j’ai l’impression que ce ne sont là que des simulacres, des enveloppes, des ornements assemblés autour d’une Image divine et miraculeuse et que cette Image repose au fond de mon esprit. Ce n’est pas Elle que je cherche, mais je cherche parmi les choses. Sans doute elles m’indiqueront la route vers l’endroit où, dans un profond sommeil, repose la Vierge, celle que mon cœur recherche d’amour. Le Maître ne m’en a rien dit et je ne puis le lui confier : C’est pour moi un mystère inviolable. » Comme du doigt il nous fait toucher le ressort secret, — cette puissance d’exaltation lyrique et de transfiguration poétique, par l’idée-fixe passionnelle, par l’illusion amoureuse : « À peine j’ose me l’avouer à moi-même ; mais trop intimement s’impose à moi cette croyance : un jour je rencontrai ici même ce qui me tourmente sans-cesse : Elle est présente ici. Lorsque je vis dans cette croyance, toutes choses viennent se grouper et forment une image plus auguste, s’organisent en un monde nouveau : tout me paraît orienté vers le même endroit. Tout revêt un aspect si connu, si aimé : — et ce qui jusqu’alors me paraissait étrange et inconnu devient tout à coup semblable à un objet familier. »[1]

Revenons à présent aux événements qui ont marqué cette période dans la vie extérieure du poète.

L’été et l’automne 1795, c’est-à-dire les six premiers mois de son amour, furent peut-être l’époque la plus heureuse de son existence. Malgré les occupations du greffe et de fréquentes absences il trouvait encore le temps de suivre le mouvement philosophique et littéraire, de lire la Doctrine de la Science de Fichte, les premiers romans de Jean Paul, quelques philosophes mystiques et néo-platoniciens tels que Plotin et Hemsterhuys, enfin d’apprendre presque par cœur

  1. N. S. I, p. 212-213.