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Page:Spenlé - Novalis.djvu/77

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UN SUICIDE PHILOSOPHIQUE

apparence de perpétuelle magie, et les rapports du mental et du physique échappent à toute norme régulatrice. « L’activité des organes n’est autre chose qu’une idéation magique, miraculeuse, un emploi arbitraire du monde des corps. La volonté n’est qu’une idéation douée d’une efficacité magique. »[1] Dans la maladie surtout se découvre cette magie inconsciente qui est au fond de toute activité biologique. Aussi est-il peu de matières plus instructives pour le psychologue moraliste. « Les maladies sont un des sujets les plus importants pour la connaissance de l’homme, à cause de leur fréquence même et des combats que l’homme doit leur livrer. Encore ne connaissons-nous qu’imparfaitement l’art de les utiliser. Vraisemblablement elles sont une des matières les plus attrayantes et les plus intéressantes pour notre réflexion et notre activité. Ici nous attend encore une moisson infinie, — particulièrement, semble-t-il, dans le domaine intellectuel, dans celui de la morale, de la religion et Dieu sait dans quel mystérieux domaine encore ! Qui sait si je ne suis pas appelé à être un prophète dans cet art ? » Non seulement les maladies, lorsqu’elles n’abolissent pas nos facultés de réflexion, nous apprennent ce qu’il y a souvent de fortuit, d’arbitraire, de conventionnel et d’instable dans notre manière habituelle d’envisager les choses et la vie, mais elles augmentent aussi notre surface sensitive et consciente, elles agrandissent notre zone animique. La conscience normale et saine opère une sélection artificielle, une scission souvent arbitraire dans la trame de notre vie, n’éclairant que quelques phénomènes superficiels et rejetant dans les ténèbres de l’inconscient les portions les plus profondes de nous-mêmes. Mais la maladie découvre tout à coup à notre conscience une partie de ce fond obscur, de ces « latences », jusqu’alors ignorées ou négligées. Ainsi chez l’homme qui sait l’observer avec calme et l’expérimenter méthodiquement elle fait naître comme un sens nouveau, un sens organique et divinatoire de la vie.

  1. N. S. II, 1, p. 200.